Wednesday, April 27, 2011

Agenda Bolivien.

Aujourd’hui, on pouvait lire dans le journal que le revenu par personne en Bolivie avait doublé en sept ans : de 894 us$ en 2003 à 1849 us$ en 2010. En 1996, c’était 953 us$ et encore sept ans avant (en 1987) 714 us$. Par contre ces chiffres ne disent rien au sujet de la répartition interne sociale ni si, oui ou non, il y a eu dans les faits une amélioration des conditions de vie. Mais on peut remarquer partout que cette majoration globale du revenu a avivé les attentes et donc aussi les exigences de la population pour plus de bien-être. Ces dernières semaines, le gouvernement d’Evo Morales a dû faire face à beaucoup d’agitation sociale parce qu’il n’y a eu "à peine" que 10 % d’augmentation salariale cette année. Avec quelques pourcentages extra pour l’enseignement et les soins de santé, juste avant la Semaine Sainte, tout est devenu plus calme.

Dans ce contexte, c’est une bonne occasion de parler de quoi CEPA s’occupe. Pour ceux dont le travail touche la production et le revenu, il semble convenir de se concentrer sur un juste partage. Pour nous, en tant que "Centre pour Écologie et Peuples Andins" (CEPA), — depuis 15 ans déjà — notre préoccupation est la nature et la culture.

1. Notre "cheval de parade" est le décret 335. De CEPA est née une organisation toujours grandissante, de dizaines de communautés andines (CORIDUP), lésées par l’industrie minière. Avec elles, nous avons obtenu que le bassin de la rivière Huanuni soit déclaré zone d’urgence environnementale. Le planning et l’exécution des travaux pour éviter davantage de contamination et de sauver ce qui peut être sauvé, sont suivis de près de jour en jour

2. Notre "feuilleton" est le contrôle des conséquences sociales et environnementales des deux mines aurifères d’Inti Raymi. Les opérations minières étaient déjà rentables avec le prix de l’or à 300 us$ l’once; maintenant on reçoit 1500 us$. Qui s’enfuit avec les gains extra ? L’audit environnemental en cours devrait normalement se conclure cette année.

3. À trois reprises nous avons organisé des journées de travail entre les gouvernements nationaux et régionaux, entre les compagnies minières et les quartiers ou les communautés lésées et menacées par la contamination. Le gouverneur d’Oruro lui-même veut maintenant organiser la quatrième ronde des "mesas de trabajo". Nous en sommes heureux, c’était notre but. Mais nous nous tenons proches, à côté de CORIDUP, l’organisation des communautés. Il s’agit de prendre des décisions à la protection des terres et des eaux et d’exiger l’accomplissement des promesses faites auparavant.
Avant hier, dans le cadre de l’élaboration des statuts de l’autonomie d’Oruro (selon la "constitution" régionale), on a demandé à CEPA d’accepter la présidence de la commission "des eaux et de l’irrigation".

4. Entre-temps, la formation des personnes continue. La semaine prochaine commence "L’école des dirigeants environnementaux" pour jeunes et ensuite aussi pour des dirigeants des organisations populaires, pour des enseignants et des journalistes. Durant quatre mois ils se réuniront chaque fin de semaine pour apprendre et échanger des expériences. La bibliothèque fournira la lecture et le matériel didactique. Hier j’étais à Huanuni pour inaugurer une bibliothèque virtuelle pour CAEP ( Centre pour l’éducation populaire), c’est une fenêtre sur le monde pour un grand centre minier.

5. Hier se réunissaient trente Urus du lac Poopó (Muratos) dans les locaux de CEPA; il s’agit d’un petit peuple de chasseurs, pêcheurs et cueilleurs. Avec les Chipayas ils forment la "Nación Originaria Uru", une des 36 nations qui constituent la richesse de la Bolivie plurinationale. C’est un groupe ethnique minoritaire. (3000 personnes) Grâce à la nouvelle constitution, ils ont maintenant leur propre député et peuvent élaborer leurs propres statuts. C’était l’assemblée de départ d’un processus de renforcement de leur organisation. Nous allons les accompagner dans leurs démarches pour quelques années.

6. Non seulement le "suyu" des Urus se réunit régulièrement dans les locaux de CEPA, aussi les "Sura" (avec surtout l’industrie minière) et les gens des Carangas ( en majorité des éleveurs de bétails mais bientôt aussi une mine de soufre.) Le groupe Jakisa ( production de quinua et de lait) s’oppose au démarrage d’une mine d’or par une compagnie minière canadienne, juste à côté de leur barrage et de leurs champs. Ces quatre "suyus", qui parlent surtout l’Aymara et le Quechua, forment la population rurale du département, mais ils viennent s’établir aussi dans la ville d’Oruro à un rythme accéléré. Lundi passé nous recevions les femmes pour une session de formation politique.

7. Mardi dernier j’ai visité le système des eaux usées de la ville; c’est là où normalement les eaux usées de la ville (250.000 habitants) devraient subir un traitement de purification avant de se déverser dans le lac Uru. Les eaux acides de la mine San José ainsi que deux tiers des eaux usées de la ville se déversent sans aucun traitement dans le lac. En effet, seulement une des quatre pompes fonctionne. Du coup, c’est devenu notre sujet de conscientisation pour le Jour de la Mère Terre. Après, ce sera le tour du dépotoir qui devrait être déplacé.

8. Personnellement, ce que je trouve le plus important est de créer et d’accompagner des groupes qui avec le temps peuvent mener leur propre vie. Non seulement CORIDUP. Les Eco-femmes se réunissent deux fois par mois déjà depuis plusieurs années. Les Eco-jeunes son plus touchés par le caractère aléatoire de l’année scolaire. Les "Patrullas Ecológicas" (enfants) ont pris à leur compte, ces jours-ci, l’animation du Jour de la Mère Terre au centre ville. Des jeunes chercheurs sociaux (CIPS) essaient de mettre en marche des discussions sur des sujets actuels.
Le groupe de réflexion "Amerindia Oruro" ne provient pas de CEPA, mais ils ont pu compter sur notre collaboration. Nous nous réunissons toujours deux fois par mois pour réfléchir sur ce qui est en cours dans la vie en société et quel peut être notre rôle selon l’Évangile. Il y a seulement quelques mois, nous présentions nos idées dans un programme hebdomadaire radiophonique, mais l’évêque a interdit au groupe toute action publique. C’est incompréhensible dans le fond, mais cela ne nous décourage pas.

9. Et pourtant, tout ce que nous avons soulevé et ce que nous faisons maintenant d’une autre façon, est important. Si aujourd’hui nous voulons parler d’écologie et de peuples andins, nous devons aussi aborder le lien entre les cultures, le dialogue et l’action entre les religions, la décolonisation, l’option pour les pauvres, la Mère Terre, l’exclusion, le racisme, les structures du pouvoir, la relation entre christianisme et religions des Andes, l’œcuménisme, l’engagement politique et social.. Aussi à ces sujets nous voulons mettre des gens et des groupes au travail car ce sont les thèmes qui demain, non, aujourd’hui déjà, sont à l’ordre du jour.

À vous toutes et tous, un temps de Pâques de renouvellement,

Gilberto Pauwels

Oruro Bolivia.

Tuesday, April 12, 2011

Superflu?

Cette année «Broederlijk Delen» (BD) ( littéralement : Partage Fraternel, est un organisme en Flandre comme Développement et Paix au Québec) a débuté son action de carême avec un slogan remarquable : "Rends-nous superflu". Comment un semblable appel peut-il être compris dans le Sud ?

1.Celui qui pense que BD affirme par ce slogan que personne ne leur demandera ou ne leur donnera plus rien, que BD trouve qu’il n’a plus de message à livrer et qu’il veut tout ficher là, il se trompe. Au contraire, le slogan veut lancer un appel afin que l’organisme puisse atteindre le plus vite et le mieux possible ses objectifs ( définitivement inatteignables).

2. Mais de qui peut-on dire qu’ils ont l’intention explicite de se rendre eux-mêmes superflu, et, si cela marche, de le considérer comme un succès ? Par exemple c’est le cas pour un médecin qui veut que le malade guérisse ou un enseignant qui veut transmettre du savoir et des valeurs à ses élèves afin qu’ils puissent entreprendre la vie par leurs propres moyens. L’objectif est que malades et jeunes se débrouillent par eux-mêmes. Dans ce sens, c’est une bonne affaire que BD ne désire plus être médecin pour des situations maladives dans le Sud. Il ne revient pas à BD de poser le diagnostique, de prescrire le remède et en plus de défrayer les coûts. C’est une bonne chose que BD ne veuille plus se présenter comme "nous qui savons et pouvons tout contre vous qui êtes incapables". Abandonner ce rôle patronal directif est aussi conçu dans le slogan :" Parce que le Sud a des plans". (un ancien slogan de BD). Des visions et des pratiques définies peuvent en effet être rendues superflu dans la relation de BD avec le Sud. Finalement, nous sommes tous un peu malades dans les mêmes situations. Nous sommes ignorants et ne savons pas quoi faire à l’égard de certains aspects de la vie et de la problématique spécifique de d’autres peuples.

3. Et qui ne se font pas superflus ? De la parenté, des amis, des alliés,....Considérer uniquement BD comme un organisme d’entraide qui vient au secours aux endroits définis ou auprès d’un groupe spécifique pour un certain nombre d’années et ensuite disparaît d’un coup, c’est quand même une vision trop étroite de l’organisme. Après 50 ans d’existence, BD ne peut pas comme ça se déclarer de trop, sûrement pas quand il s’agit de construire des ponts, de forger des liens entre le Nord et le Sud, en partant de la conviction qu’un autre monde est faisable, tout en tenant compte des plans propres des peuples du Sud.

4. N’est-ce pas que pour des situations semblables nous avons en flamand une belle expression, celle de l’enfant dans l’eau du bain. C’est bon, jetons l’eau du bain; elle est déjà depuis longtemps superflue. Mais occupons-nous ensemble soigneusement de l’enfant qui entre-temps a grandi : la relation Nord-Sud-Nord est à la base.

Gilberto Pauwels

Oruro – Bolivia.

Friday, March 11, 2011

Des masques à Oruro.

Le point culminant du Carnaval d’Oruro est passé. Du jamais vu, c’est devenu une explosion de brillance, de son, de coloris et de rythme. La portée religieuse donne toujours à ce Carnaval unique en son genre, un visage propre, mais le folklore et le commerce prennent peu à peu le dessus.

1. Il s’agissait des habitants d’un quartier de mineurs, il y a presque un siècle et demi, qui en étaient arrivés à fusionner la fête du diable avec la vénération mariale, et c’est ainsi que nous avons vu, il y a quelques jours, des milliers de diables, de noirs, d’Incas, d’indiens de la brousse, de pasteurs et d’agriculteurs masqués, peinturés et costumés, ... se jeter à genoux devant un tableau de peinture de la Vierge de la Chandeleur, tenant à la main un cierge fait de graisse de lama. Est-il une représentation de la soumission du monde andin à l’Église coopérante avec le colonisateur d’autrefois ou est-il (ou devient-il) l’expression de la "reconquista", la reconquête du territoire de la ville par des groupes de la population qui se sentent plus libres et en solidarité avec la Virgen Morena ? La semaine passée à CEPA, nous avons présenté un livre sur ce thème, mais la discussion à ce sujet n’a pas encore vraiment démarré (Fiesta Urbana en los Andes. Experiencias y discursos del Carnaval de Oruro. Marcelo Lara y Ximena Córdova, 2011, 228pp.) Sous les masques et les parures traditionnelles se cachent presque tous les groupes populaires, mais surtout la classe moyenne de la ville. Deux jours avant, à l’occasion des festivités de la Jallupacha ( temps des pluies ) et de l’Anata ( fête de la joie), Oruro a été occupée par plus de cent groupes de musique et de danse venant de plusieurs villages des Andes.

2. Il est indéniable que les gens d’Oruro veulent honorer en même temps les traditions andines et leur christianisme. Quand je regarde par la fenêtre de ma chambre, je vois une colline et un escalier qui mène à un rocher en forme de condor, auquel on fait des libations. La même chose se passe ailleurs : au serpent, au crapaud, au lézard et aux fourmis; ils font partie de la mythologie de la création de la ville. Mais sur la colline adjacente on est en train de construire une statue de la Virgen del Socavon ( la Vierge de la Mine), qui sera plus grande que la statue bien connue du Christ de Rio au Brésil ou de la statue plus grande encore mais moins bien connue du Christ de Cochabamba. Elle deviendra une statue géante avec à l’intérieur une chapelle, un restaurant, une boutique et un musée.

3. Oui, pour celui qui n’a pas été à Oruro depuis quelques années, bien un certain nombre de changements devraient le surprendre. La ville s’agrandit de plus en plus dans les collines mais aussi dans les pleines et le long des voies d’accès. Les tours d’églises, qui ressortaient jadis, semblent se rapetisser à l’entourage des chantiers de plusieurs étages. Au centre ville on construit deux gratte-ciel de vingt étages. Des gens, venant des villages, se font aussi une niche dans la ville. Ils investissent dans l’achat des terrains et construisent des maisons. Le nombre d’autos augmente à vue d’oeil. Les habitants des régions frontalières — qui ne vivent pas seulement de l’élevage du lama et de la production de pomme de terre et de quinua — s’emparent de la ville. Il y a des années, je donnais une entrevue à Walter Lootens sous le titre « Les peuples andins conquièrent les villes ». Cela semble maintenant se réaliser. D’ailleurs, il n’y a pas longtemps, Walter a de nouveau parcouru la Bolivie pour prendre note des conséquences de ce processus de changement en cours.

4. Et pourtant... Qu’est-ce qui se cache derrières ces masques ? Qu’est-ce qui se déroule derrière ces hautes façades fastueuses ? De qui s’agit-il et sur quelle base? Pourquoi il y a-t-il une augmentation évidente, surtout ces derniers temps, de protestations contre la gouvernance du président Evo Morales ? Cela nous amènerait trop loin de vouloir démêler les causes et les conséquences de ce processus complexe. Nous aurions à traiter de la redistribution socio-économique; du racisme; de la corruption; de la division politique interne; de l’influence d’une part de la presse et d’autre part des organismes populaires; de la pénurie et des prix des denrées; des prix du pétrole, du gaz et des minéraux; de la transformation politique des collaborateurs d’avant en alternatives concurrentielles pour le futur; des différents régionaux et de l’autonomie; des oppositions religieuses et des protagonistes; de la politique internationale; du manque de formation politique et professionnelle; de l’identification ethnique; du manque de durabilité et de tant d’autres ...

5. Je veux quand même mentionner quelques aspects évidents du processus de changement à partir de la vie quotidienne. Celui qui tend vers une plus grande participation, immanquablement, il sera confronté à plus de critiques, à des propositions irréalistes et des revendications à participer aux décisions. Et aussi, faire avancer l’amélioration du sort ne mène pas nécessairement à plus de contentement. Une fois le processus enclenché, les nécessités et besoins semblent augmenter plus vite que les réponses qu’on peut y donner, ce qui fait augmenter l’insatisfaction.

On vient de relever les salaires de 10% et le salaire minimum même de 20 %. À voir comment on réagira sur ce point après le Carnaval, au milieu des protestations incessantes contre la montée des prix, surtout celles du transport. Finalement on n’a pas touché aux prix des carburants.

Le processus de changements ne court pas un danger. Tout le monde réalise que le sort du pays est surtout aux mains des communautés rurales. Qu’elles peuvent paralyser le pays aussi longtemps qu’elles le veulent, en rendant les routes inutilisables avec des centaines de milliers de pierres; cela elles l’ont déjà prouvé.

Le processus de changement est en train de virer en un processus de démasquage. Qui veut et qui peut vraiment se mettre au service du peuple ? Quel pouvoir ont-ils ?

Gilberto Pauwels

Oruro Bolivia

Thursday, January 6, 2011

Bolivia: gouverner aavec obéissance.

Le décret qui faisait monter le prix de l’essence et le diesel de trois-quarts a tenu le coup à peine cinq jours. Le président Evo Morales l‘a annulé la veille du jour de l’An. La protestation populaire et surtout l’annonce de manifestations massives dès aujourd’hui, lundi 3 janvier, ont poussé le gouvernement à abolir le règlement.

1. Le calme est revenu au pays et après des augmentations désordonnées des prix, les anciens prix des produits et services sont (en grande partie) revenus comme ils étaient auparavant. Maintenant la Bolivie va être obligée de prendre quelques années pour colmater la brèche entre le prix du combustible réel et celui subventionné. L’industrialisation et les investissements dans l’exploration pétrolière vont se faire à un rythme plus lent. On aura des efforts plus grands à livrer pour contrecarrer la contrebande vers les pays voisins (où le combustible coûte deux à trois fois plus cher). Moins d’argent donc dans les coffres de l’état. Le plan agressif, élaboré sous la direction du vice-président Álvaro García Linera, ne se réalisera pas.

2. « Quand je suis devenu président, j’ai promis de gouverner en obéissant au peuple » disait Evo Morales, « c’est ce que je fais maintenant et cela je veux le faire encore davantage dans le futur. Il ne suffit pas d’écouter le conseil des ministres ou de parler seulement avec les dirigeants; la base aussi doit être engagée dans la prise de décisions ». Il y a eu pourtant des ententes avec des organisations populaires importantes ( campesinos, ouvriers, professeurs, comités de quartiers) mais apparemment cela n’a pas été suffisant. Que du jour au lendemain tout est devenu plus cher de dizaines de pour-cent – même parfois le prix doublait – pendant que de grands secteurs de la population, à court terme, ne recevaient pas une compensation suffisante, faisait en sorte que le décret est devenu une intervention condamnée à l’échec, même si un président populaire comme Evo Morales y a mis toute son influence et son prestige dans la balance. La situation a été mal évaluée. L’équipe ministérielle a reçu du président des directives claires de gouverner en accord avec le peuple, en obéissance aux organisations populaires. La question reste à savoir si cela est réalisable. Va-t-on trouver assez de forces de conviction pour, éventuellement, pouvoir imposer, de cette façon, des mesures qui exigent des sacrifices ?

3. À part de "gouverner en obéissance" il y a une deuxième ligne de front qui va occuper la politique gouvernementale pendant cette nouvelle année : la loi de la Mère Terre. Dernièrement, à toute vitesse, on a approuvé une courte loi découlant de la rencontre sur le climat à Cáncun ; elle doit maintenant être détaillée avec la participation des organisations populaires et de toute la société. À cela on se laisse aussi inspirer par les gestes posés ailleurs, comme par exemple par Équateur, non seulement concernant le contenu des lois mais aussi l’encadrement comme la créativité dans l’actualisation des rites andins.

4. Dans les relations avec les Églises, le "dialogue inter-religieux" va sans doute devenir un des points d’attention. Les dernières semaines on parlait surtout de la nouvelle loi de l’enseignement qui a été approuvée. Le gouvernement a tenu son bout quant au droit à la diversité religieuse mais donnait en même temps des garanties à l’Église catholique qu’il respecterait ses réseaux et institutions sur la base des accords existants. Bientôt viendra le tour de la jurisprudence sur la sexualité et l’avortement et on peut sans doute s’attendre à une vive confrontation. De plus, si le gouvernement a l’intention de prendre plus de contrôle sur l’utilité sociale des propriétés appartenant aux organisations et aux Églises, on peut déjà voir en perspective beaucoup de tensions et de conflits. Espérons qu’on pourra mettre en pratique le chemin du dialogue, proposé par tous.

2011 pourrait bien nous réserver des surprises. Dans beaucoup de structures, de lois, de jurisprudences, même dans le climat, la régularité n’existe plus. Beaucoup de choses semblent déréglées. Espérons maintenant que tout s’arrangera pour le mieux. En attendant, pour la nouvelle année, je vous souhaite seulement des surprises agréables et utiles.

Gilberto Pauwels.

Oruro. Bolivia.

Friday, December 31, 2010

Une bolivie plurinational.

La république de la Bolivie n’existe plus. Maintenant la Bolivie est un état plurinational avec 36 nations. Mais un long chemin doit encore être parcouru pour mettre en pratique ce qui est inscrit dans la nouvelle constitution. Décolonisation et inter-culturalité sont maintenant les mots clés.

1. Pendant les derniers mois, on s’est pleinement occupé pour écrire et approuver les nouveaux textes de loi, qui doivent donner une forme, des normes et une structure à la nouvelle vision de la société. Les pensions, le racisme, la Mère Terre, l’enseignement, l’industrie minière, ...toutes les facettes de la société reçoivent leur jurisprudence et de plus des centaines de règlements doivent être adaptés à la nouvelle constitution. Il y a des sessions de travail et des consultations d’une façon permanente, mais à chaque fois il y a aussi des groupes dans la société qui se sentent lésés et qui protestent. Dans les organismes législatifs, où le parti MAS d’Evo Morales détient la majorité certains sujets sont traités en vitesse. Aux niveaux subalternes avec compétence législative (départementale, régionale, municipale, ou groupe ethnique) on s’active fébrilement à élaborer des textes de loi. En tant que CEPA, (Centre pour l’Écologie et Peuples Andins) nous avons des chances uniques d’y prendre part et de pouvoir intégrer l’environnement et les cultures.

2. Mais est-ce que le pluri-culturel à quelque chose à voir avec la vie de tous les jours ? Quelques petits exemples des derniers jours. Hier, le jour de Noël, Don Severino était le premier à venir nous voir. C’est l’homme qui, accompagné de son épouse, préside le rituel des Andes, chez nous à CEPA. Le sorcier en visite chez le missionnaire, aurait-on dit dans le passé. Il était venu pour une rencontre d’affaires mais l’occasion se prêtait pour reparler un instant de l’anniversaire de la fondation de CEPA (le 8 décembre), où, après avoir assisté à la messe célébrée par le Père Luciano, Don Severino avait présidé la "mesa" (la table, l’offrande) pour la Mère Terre. « Oui, je ne peux quand même pas laisser tomber la Mère Terre, je suis né d’elle et j’ai été nourri par ses seins » disait-il. Il racontait comment son père et son grand-père lui avait transmis les rites. « Ce sont des gestes intenses et parfois dangereux. Je les exécute avec prudence; on ne peut pas exagérer dans ça » affirmait-il. «Je le fais pour vous ici, dans la région, mais quand on m’invite ailleurs, je n’accepte pas. Je fais toujours tout au nom de Dieu qui m’a créé. »

3. Le premier appel téléphonique venait de Chipaya, avec les voeux de Noël de Sylvia, une soeur anglaise qui habite depuis quinze ans au milieu de ce petit groupe de gens qui sont convaincus qu’ils sont un peuple de survivants d’une humanité précédente, quand seulement la lune existait. Quand le soleil s’est levé, quelques-uns d’entre eux ont pu se sauver en sautant à l’eau. À l’origine, ils sont un peuple de pêcheurs, chasseurs et cueilleurs. Sylvia est déçue. La visite d’un couple de prêtres argentins traditionalistes (en soutane) ont découragé la communauté locale de toute initiative de fêter Noël.

4. Il y a quelques jours, j’ai été invité à l’assemblée annuelle des "malkus et jilaqatas", les autorités traditionnelles de la nation aymara de Carangas. Je me trouvais parmi 140 couples, tous et toutes avec des ponchos et des mantas vertes. Ils s’entretenaient sur le prochain développement de leur organisation. « 75 % de notre territoire a été reconnu par l’état comme territoire de la communauté » disaient-ils, « en tant que nation nous devons obtenir un territoire propre, avec autorité, non seulement sur les terres et les eaux mais aussi sur le souterrain.» Je ne pouvais pas en croire mes yeux et mes oreilles. Il y a 35 ans, je connaissais les jilaqatas seulement comme des dirigeants traditionnels soumis, dont on attendait surtout qu’ils mettent les membres de leurs communautés (ayllu) à la disposition des métis qui avaient en main les 12 villages principaux des Carangas. Dans ce temps-là, il y avait à peine contact entre les villages; maintenant la "provincia de los Carangas" ,du temps des Incas, est remise à l’honneur.
Pendant la réunion, on a rendu hommage à CEPA pour avoir, durant des années, mis ses locaux à la disposition de leur comité de direction, afin d’y tenir leurs réunions. Dernièrement, le président Evo Morales — qui appartient d’ailleurs à cette nation — a alloué à Jach’a Carangas (le Grand Carangas) une maison, tout proche d’ici. Un saut de géant.

5. Entre-temps, nous attendons toujours une réponse aux deux lettres envoyées à l’évêque où nous demandons un entretien en tant que groupe AMERINDIA. Il nous a jeté un interdit de parole. Nous aimerions lui expliquer que nous sommes seulement un petit groupe de base, qui se réuni pour analyser la réalité et l’actualité et partager nos opinions, via la radio et au moyen de débats, avec la population, sans vouloir être la voix de l’Église locale. Mais il paraît qu’il ne s’agit pas seulement du fait de ne pas avoir demandé la permission ou d’avoir omis de lui présenter des statuts, mais que nous osons prononcer les mots "décolonisation et dialogue inter-religieux " et que nous donnons la parole aux gens là-dessus. L’Église locale d’Oruro ( et d’ailleurs ...) essaie de faire un pas de géant en arrière, à la recherche de restauration, au milieu d’un processus de changement imparable. Un nouveau monde et une nouvelle Église sont non seulement nécessaire, mais indispensable.

6. Mais ... mettons tout cela provisoirement entre parenthèses. À partir de demain, il ne s’agira pas de pluri-nationalité mais, à nouveau, de l’état lui-même. Car aujourd’hui, le gouvernement a décrété une augmentation de 75 % du prix de l’essence et du diesel. On abolit la subsidiarité. Déjà depuis trop longtemps on a négligé ce problème. Cela signifie que d’un coup, non seulement le transport, mais tous les prix vont augmenter sensiblement. Pour demain, on a déjà annoncé une grève générale d’une durée indéterminée. Pour la première fois, le président Evo Morales et son gouvernement se dirigent avec une directive impopulaire vers une confrontation frontale avec le peuple. On peut s’attendre à ce qu’il soit obligé, dans une certaine mesure, à jeter du lest.

À vous tous et toutes, un temps de Noël rempli de Paix et une Heureuse Nouvelle Année.

Gilberto Pauwels.

Oruro Bolivia.

Sunday, November 28, 2010

Interdiction de parler.

Normalement hier, pour la 84e fois, notre programme radiophonique "Contexte" devait passer en ondes. Nous avons décidé d’annuler l’émission, car l’évêque via une déclaration publique a interdit au groupe "AMERINDIA" toute action publique. Cette décision avait été rendue publique quelques jours avant mon retour en Bolivie après un congé en Belgique.
J’avais eu l’intention de reprendre le fil des Griffonnages des Andes, après une interruption de quelques mois, avec le # 192. Comme on vient de nous couper un canal de communication, j’ai une raison de plus pour le faire.

1. "AMERINDIA" est un petit groupe de réflexion composé de quelques laïques, d’un couple de religieux et prêtres qui se réunissent deux fois par mois pour échanger sur les événements concernant l’Église et la société. Aussi Geert Van Den Berge, curé à Oruro, appartient à ce groupe. Il y a quelques mois, nous avons pris l’initiative de partager nos réflexions et opinions avec un publique plus large via un programme hebdomadaire à la radio Pio XII.
Nous n’avons jamais prétendu parler au nom de l’Église locale. Bien que de temps en temps nous avons invité des personnes à venir nous parler de leur situation, de leurs réalisations ou problèmes : des gens d’Église, des enfants de la rue, des prisonniers, des travailleurs en développement, des autorités, des chefs d’organisations sociales ...Avec d’autres nous avons organisé des initiatives, comme une soirée mensuelle de réflexion avec le Comité Permanent des Droits de l’Homme, et dernièrement, avec CEPA, à l’initiative du Sanctuaire de la Vierge du Socavon, une foire du Livre Religieux, (mais l’évêque a interdit aux collèges catholiques la visite de cette foire inter-religieuse du livre).

2. "AMERINDIA" est aussi un travail de réseau au plan continental, existant dans plus de 20 pays, avec des groupes qui sont ouverts à des contacts oecuméniques et à un dialogue inter-religieux, et qui veulent garder vivant la richesse spirituelle des conférences épiscopales de l’Amérique latine. À cela nous participons. Dans l’interdiction de l’évêque, que nous avons appris par les journaux, il n’a pas été question du contenu des émissions; il se base sur le fait que nous n’avons pas fait connaître nos statuts et nos objectifs à l’évêque et que nous n’avons pas demandé la permission de fonctionner.
Maintenant, il est vrai que nous n’avons aucun statut et ne voulons pas être une "association" comme le définit le droit canonique. Nous sommes seulement un groupe informel de gens qui, à partir d’une inspiration évangélique et de traditions ecclésiales, veulent réaliser quelque chose au service de la société. Et quoi maintenant ? Nous continuerons à travailler à l’interne, entre autre, avec une recherche concernant la problématique socio-religieuse. Nous avons l’espoir que tout s’arrangera. Je vous tiendrai au courant. Dommage que nous devions mettre temps et énergie dans des affaires légalistes semblables. Mais c’est en même temps une opportunité de conscientiser.

3. Entre-temps en Bolivie, le processus de changement continu. Il est de plus en plus clair maintenant que c’est devenu un processus de redistribution : Qui doit maintenant contribuer et comment doivent être repartis les revenus de l’état? En politique, c’est comme ça que ça marche.
Et cela apporte des tensions et des déchirures, des pressions et des répressions, des divisions et de la corruption, et parfois (mais trop peu) du dialogue et de la consultation. La galette est devenue plus grande et on tend à améliorer le sort des plus faibles et des plus pauvres. Mais il y a encore tant à faire. On est encore trop occupé à élaborer des systèmes de contrôle via de nouvelles lois.

4. À mon retour, j’ai retrouvé notre CEPA ( Centro pour Écologie et Peuples Andins) en pleine action. Notre attention se porte toujours et avant tout vers le contrôle de la pollution de l’eau, de la terre et de l’air et à la recherche des alternatives et de la restauration. Moins visible mais aussi important est le travail au niveau socioculturel, avec les autorités traditionnelles et les dirigeants des communautés rurales et des communautés de quartier. Les Eco-jeunes viennent d’avoir leur congrès annuel et les Eco-femmes continuent à s’occuper du travail de formation et des petits travaux de recherche sur les situations concrètes journalières. Malgré l’Internet, la bibliothèque, le centre de documentation et les propres publications continuent de fournir de l’information alternative, surtout sur la problématique régionale.
Maintenant nous voulons planifier pour les mois et les années à venir, car, à de nouvelles questions nous voulons donner de nouvelles réponses.

5. Dans les années passées c’était surtout la problématique et les conflits sociaux, ethno- culturels et écologiques qui déterminaient notre agenda. Cela restera sans doute le cas mais maintenant dans un contexte inter-culturel; de visions mondiales; de dialogue inter-religions; de participation et de contrôle sociale; de célébrations; de rites et de mythes; de modèles de sociétés; d’opinions philosophiques et de convictions religieuses, ... Il est possible que nous allons rencontrer de l’opposition et peut-être même de la répression, mais nous l’accepterons. D’ailleurs... plusieurs personnes de CEPA participent aussi à AMERINDIA.

Gilberto Pauwels – Oruro.

Thursday, March 11, 2010

Entre deux élections.

Hola Amigos/as,

Le Président Evo est très occupé ces derniers temps. Après les élections nationales, avec une victoire massive (plus de 64 %), il a nommé ses ministres et leurs collaborateurs, surtout les vice-ministres. En même temps, la campagne en vue des élections départementales et municipales, qui auront lieu le 4 avril (Pâques), s’est mise en marche. Particulièrement le choix des candidats lui a donné pas mal de maux de tête. Les candidats de gouverneur, maire et leurs conseils respectifs, dans beaucoup d’endroits, auront en effet la pleine sécurité d’être élus.

1. Quels sont les plus grands problèmes auxquels Evo doit faire face? En premier lieu, des divisions et séparations internes. Elles ne trouvent pas leur origine tant dans les différences idéologiques, que dans le choix des collaborateurs et des candidats. L’alliance du MAS avec le MSM ( Movimiento sin Miedo) de Juan del Granado est rompue; le MAS pense pouvoir se passer d’elle et se débrouiller seul. La question est de savoir si le MSM ne deviendra pas le havre de secours pour beaucoup de gens, en tant qu’individus ou en tant qu’organisations, qui se sentent marginalisés par le MAS, et qui ainsi, mettront en marche une sorte d’opposition à l’interne. Est aussi important la position critique grandissante des organisations ethniques, qui, à la mesure qu’elles ont appris à être partie prenante dans le processus de changement, exigent maintenant plus de participation. Elles veulent aussi qu’aux discours sur la Mère Terre, on y réponde par des mesures concrètes. Ces oppositions internes peuvent, à la longue, devenir plus importantes que le contrôle externe des partis traditionnels et des adversaires.

2. Un deuxième problème est la corruption. Le gouvernement veut l’endiguer de force, mais cela reste un problème difficile. Trop de groupes et de personnes sont devenus membres de l’appareil de l’état, non pas par conviction ou vision, mais simplement pour ratisser un morceau de la tarte, sur lequel ils pensent, pour une ou autre raison, avoir un droit ou avoir pu en obtenir un. Ce ne sont pas toujours les personnes les plus capables ou les plus motivées qui arrivent au bon endroit. La production grandissante de feuilles de coca dans le but d’exporter la cocaïne, fait partie de cette tendance vers l’illégalité.

3. Mais la question principale est de savoir ce que le président Evo et son entourage feront avec leur pouvoir presque imparable. Par exemple, plusieurs ont manifesté leur préoccupation sur le fait qu’Evo a nommé par décret de nouveaux juges, tandis que la constitution indique qu’ils doivent être élus par l’Assemblée Plurinationale (en d’autres mot, le Parlement). Ceci semble être un signal significatif, un antécédent qui demande de la vigilance.

4. C’est un fait qu’un processus de changement a été mis en marche qui est basé sur la participation, la redistribution, le respect pour les droits fondamentaux de l’homme et pour la diversité, que plus personne ne pourra arrêter. Mais peu à peu, il existe la conviction que le processus de changements est úne chose et que le gouvernement d’Evo est autre chose; et que les deux ne marchent pas nécessairement ensemble. Cela suscite des questions. Quelle contribution pouvons-nous faire en tant qu’Églises ou ONG-s ? Comment appuyer le processus de changement et les réalisations concrètes dans cette direction sans perdre notre fonction critique à l’intérieur de la société, à l’égard du gouvernement ainsi que de l’opposition ? En ce moment, je me trouve à Santa Cruz. Avec un certain nombre d’organisations, nous allons nous pencher sur cette problématique durant quelques jours.

5. Grâce à la campagne de carême de Broederlijk Delen, la Bolivie est un peu plus sur les lèvres en Flandre. Nous nous en réjouissons. Les changements climatiques et la problématique de l’eau qui en découle sont fondamentaux pour le futur du pays. Pour y faire face, tous seront appelés à contribuer, car ces problèmes pénètrent toutes les facettes de la vie. Ce sont les vrais ’ennemis communs’ que nous auront à combattre tous ensemble, au moins si nous croyons en ce rêve et à cette promesse vieille de plusieurs siècles qu’un ‘autre monde’ est possible, où ‘bien vivre’ sera assuré pour tout le monde.

Gilberto Pauwels

Oruro Bolivia.