Tuesday, December 22, 2009

Bolivia : la voix du peuple.

Bonjour tout le monde,

Avancer de presque dix pour cent après quatre années de gouvernance et obtenir 63 %; avoir plus de 50 pour cent dans six des neuf départements — à nulle part moins de 37 % — et même dans trois départements autour de 80 %; recevoir l’appui de 8 personnes sur 10 à La Paz et 4 sur 10 à Santa Cruz; gagner dans chaque département au moins deux, parfois trois ou quatre sénateurs de plus et ainsi s’assurer une majorité de 2/3, tout comme dans la chambre des députés, ...hé bien, Evo Morales ne pouvait espérer beaucoup mieux.
Qu’est-ce qui nous attend maintenant ? Voici dix points de vue …

1) Le nouveau gouvernement d’Evo Morales aura bientôt la pleine responsabilité de la gouvernance du pays. Jusqu’à date, on pouvait blâmer partiellement le sénat où l’opposition avait la majorité, pour tout ce qui allait de travers, car des centaines de projets de loi y furent bloqués. Mais plus maintenant.

2) L’opposition est divisée et n’offre pas d’alternatives. Apparemment, ce seront plutôt les organisations populaires et la société civile qui devront exercer un contrôle social et un renouvellement.

3) Au début d’avril, il y aura des élections départementales et municipales. Un processus de décentralisation (autonomie régionale) a été mis en marche et l’opposition essayera, à l’occasion, de mettre la main sur quelques directions régionales. Pour eux, le résultat des élections nationales ne laisse pas entrevoir un futur tout en rose. Ou bien réussiront-ils, cette fois, ici et là, à former un front unitaire ?

4) Maintenant que le MAS n’a plus un adversaire commun valable, les oppositions internes à l’intérieur du parti au pouvoir s’accentueront probablement davantage. Cela pourra arriver déjà avant les élections, lors des nominations, où on nommera ceux qui auront toute la certitude d’être élus. Jusqu’à date, l’autorité du président Evo, lors des nominations est restée encore intacte. Mais est-ce que cela va durer ? Un exemple : la célébration de la victoire électorale à Oruro a eu lieu à deux endroits différents et sans doute, une partie des gens sont restés chez eux pour éviter l’obligation de s’identifier à l’un ou l’autre camp.

5) Dans les discours post élections le mot « socialisme » fut prononcé plus souvent que « peuples autochtones ». Pourtant, le gros de l’appui d’Evo se trouve chez ces derniers. Les manières de voir d’une façon trop théorique les instances gouvernementales, ne collent pas auprès des groupes de base. Espère-t-on que l’idéologie ethnique va s’éteindre ? Cela pourrait être un calcul erroné car des changements socioculturelles accélérés ne signifient pas nécessairement une perte en identification ethnique. La modernisation ne mène pas automatiquement à un affaiblissement de l’affirmation ethnique. Parfois c’est le contraire. Quand on laisse dépérir des visions de vie, des mystiques traditionnelles et des coutumes, on retournera par la force des choses à une société avec plus de contrôle et des mesures coercitives. Le processus de changement pourrait bien ainsi perdre son caractère propre. Possiblement on s’en rendra compte, vu l’intérêt de l’extérieur pour ce ‘presidente-indio’.

6) Nous allons tout droit vers une participation grandissante à une société de consommation. Est-ce que l’État pourra continuer à satisfaire les besoins croissants ? S’il s’agit d’une consommation de la production propre, cela peut donner un coup de pouce à l’économie, mais quelles seront les conséquences s’il s’agit surtout de l’importation ?

7) Gouverner quatre ans a été pour beaucoup de gens, sans expérience dans ce genre de choses, un processus d’apprentissage. Réussira-t-on à réconcilier, d’une manière équilibrée, renouvellement et continuité ? On connaît maintenant les coups durs, les petites sorties et les chemins sinueux de la politique. Servira-t-il en bien ou en mal ?

8) Les réflexions ci-dessus me font conclure qu’Evo Morales est maintenant à son apogée. Peu à peu son rôle va diminuer et l’appui du peuple au processus en souffrira. Il a déjà dit qu’il ne se présentera plus comme candidat aux prochaines élections, dans cinq ans, même s’il peut le faire légalement. Le processus de changement continuera, mais dépendra beaucoup de trouver et préparer à temps, un remplaçant adéquat et accepté par beaucoup de gens. Est-ce qu’Evo court des dangers ? Peut-il soudainement disparaître ? Je pense que le danger pour un accident est plus réel que la probabilité d’un attentat. En prévision des élections d’avril, Evo voyage de nouveau, chaque jour, à plusieurs endroits au pays.

9) Et l’Église? Les élections à l’intérieur de la conférence épiscopale n’ont pas mené à des changements drastiques, même si plusieurs évêques, dans une couple d’années, atteindront l’âge limite de 75 ans. Cardinal Julio Terrazas (73) reste président. La direction de l’Église semble continuer à regretter la perte de pouvoir et partage la peur de l’Église mondiale sur un nombre de thèmes. Aujourd’hui, dans le programme radiophonique du groupe AMERINDIA, nous avons posé la question à savoir si l’Église n’a pas trop laissé en plan toutes les organisations et les personnes qu’elle même a créées et formées et qui continuent à s’engager d’une façon permanente, pour un ‘autre monde’, à l’intérieur de toutes sortes de structures sociales?

10) En prime. Aujourd’hui, Victor Hugo Vasquez nous rendait visite. Il est Aymara, originaire d’Orinoca, le village natal d’Evo; il est anthropologue de formation et participa à l’assemblée constituante. À CEPA, il a contribué à plusieurs projets de recherche, entre autre le marché campesino dans le quartier Kantuta. Je l’ai accompagné dans sa thèse sur la capture et le tondage des vicuñas. Il me racontait que ce fut surtout le cours que Marcos Van Rijckegem, Oblat et ingénieur agronome, avait donné aux anthropologues à l’université d’Oruro, qui l’avait mis sur le bon chemin. Depuis quelques mois, Victor est maintenant... vice-ministre pour le développement rural. Son plus grand défi pour le moment est la mise en place d’une assurance-production rurale contre la sécheresse, les inondations, le gel et la grêle. Mais beaucoup d’autres projets de production sont en chantier ainsi que des mesures contre les changements climatiques. Et ainsi, chaque jour il y a une ou autre indication que vraiment quelque chose est en train de changer pour le mieux en Bolivie. Dommage que nous ne puissions pas en faire davantage.

Avec des salutations cordiales,

Gilberto Pauwels,
Oruro – Bolivia.

Saturday, October 31, 2009

DECRETO SUPREMO 0335 : Pour la Mère Terre.

Il y a eu des larmes de joie quand on a fait connaître l’approbation du décret. Quelques centaines de gens se trouvaient déjà prêts à El Alto à descendre au centre de La Paz. D’abord ils pensaient s’être trompés une fois de plus. Ils étaient partis d’Oruro dans le but d’appuyer leur demande, celle de déclarer zone d’émergence environnementale le territoire entre la mine d’étain de Huanuni et le lac Poopó. Juste au moment du départ, arriva, en taxi, le ministre de l’environnement, Pablo Ramos, avec la nouvelle que le cabinet, au complet, venait de signer le décret sur ordre formel du président Evo Morales.


  1. La demande faite de déclarer le bassin hydrographique de Huanuni zone sinistrée écologique date déjà de quelques années. CORIDUP, l’organe de coordination de quatre-vingts communautés rurales qui se considéraient lésées par la pollution minière, entretenait le procès en marche via un dialogue patient avec les responsables de la mine et les autorités régionales et nationales. Au mois de mai, nous avons fait part de l’imposante inspection par les représentants de plusieurs vice-ministères. Il y a encore quelques semaines nous parlions de la déception faute de mesures et d’annonce d’actions. Une marche à La Paz a livré le résultat recherché. Beaucoup de gens se demandent pourquoi cela a réussi cette fois ?

  2. La résistance venait des organisations de mineurs qui craignait que la déclaration de zone d’émergence allait mener à la fermeture des mines. Il y avait aussi des (vice) ministres qui s’opposaient au décret car ils pensaient que les dépenses de la dépollution des lieux seraient trop exhaustives pour l’état, surtout que cette cause pourrait servir comme antécédent à des situations semblables ailleurs au pays.

  3. Mais les circonstances étaient favorables. La semaine dernière, le président de l’Équateur était en visite à Huanuni et il a fait une remarque sur l’extrême pollution causée par l’exploitation minière. Il y a peu de temps aussi, le président Evo Morales a été proclamé mondialement, à la défense de la Mère Terre. Felix Laime, le président de CORIDUP, a habilement joué ses cartes. Il exigeait que les paroles prononcées à l’extérieur se convertissent en actes devant le propre peuple. La marche sur La Paz a été proposée, non comme une protestation contre le gouvernement mais comme un appel à réaliser aussi dans les faits le processus de changement annoncé. Ce n’est pas contre Evo mais en sa faveur et contre les groupes et les personnes qui boycottent ses plans. Et ça a marché. Entre-temps la lutte électorale qui s’est engagée a sûrement aidé. La presse de l’opposition a donné beaucoup de publicité aux actions de protestation, convaincue que tout cela finirait en queue de poisson et entacherait l’image du président. Cela n’a pas marché.

  4. Le décret ne prévoit nullement la fermeture des industries et se limite aux quatre villages entre la mine et les lacs : Huanuni, Machacamarca, El Chorro ( avec Challacollo) et Poopó. Les mesures prévues sont impressionnantes : l’empêchement de toute pollution future par la construction de digues, par le contrôle des anciens déchets de la mine et la gestion des eaux; la récupération des terres avec l’appui à l’agriculture et l’élevage; de l’eau potable et la gestion des déchets pour les centres miniers et les villages; de l’éducation environnementale dans les entreprises et les villages; des soins de santé; une aide immédiate d’urgence; un contrôle social sur l’exécution des mesures, entre autres par CORIDUP. Sept ministères, la préfecture, les quatre directions municipales et la société d’état, le COMIBOL, sont impliqués dans l’exécution. Il s’agit d’un plan sur dix ans.

  5. Les gens de CORIDUP sont fous de joie et très reconnaissant envers CEPA, car les lettres, les pétitions, les documents, les inspections, des dizaines de réunions à Oruro et La Paz, la conscientisation dans les villages, les analyses des eaux, les communiqués et articles dans la presse, les mobilisations, ... ont été possibles grâce au travail soutenu de Limbert, Clemente, Jaime, Jhonny, Norma, Alicia, Eveline,... de CEPA. Nous pensons aussi à ces gens, souvent avancés en âge, qui marchaient à La Paz, pour sauver leur unique moyen de subsistance : la terre et les eaux de leurs ancêtres, la Mère Terre. Et aussi aux organisations, aux groupes et familles dans l’hémisphère nord qui ont rendu possible l’action de CEPA

  6. Automatiquement je pense au récit biblique de la multiplication des pains. Quelques gens des peuples du Nord ont offert quelque chose, disons, comme un peu de pain et quelques poissons. Avec cela, CORIDUP, un organisme populaire du Sud, a mis en marche une imposante action pour une justice sociale et environnementale en faveur de toute une région.

Mais maintenant la responsabilité devant nous est énorme : faire en sorte que ce décret, un document d’une trentaine de pages auquel nous avons collaboré pour son contenu, ne restera pas lettre morte. Cela demandera encore beaucoup de patience, persévérance, des moyens de pressions, au besoin, des mobilisations. Mais si de cette façon nous obtenons que les directions nationales, régionales et locales prennent en compte les besoins d’une population pauvre et frustrée de ses droits, et qu’ils leur rendent possible un futur meilleur, alors nous aurons atteint notre but.


Gilberto Pauwels

Oruro-Bolivia.

Tuesday, October 13, 2009

Bolivia : travailler au changement.

La promesse la plus citée du gouvernement d’Evo Morales, mais peu définie, était et est encore qu’il y aura des changements. Qu’en est-il de ce processus de changement ? Jusqu’à quel point cela se reflète dans la vie des gens ordinaires et dans les communautés ? De quelle façon, en tant que CEPA (Centre pour l’Écologie et Peuples Andins), sommes-nous impliqués?

1. Les activités de CEPA, ces derniers jours, étaient surtout en relation avec l’adaptation de la législation existante à la nouvelle Constitution, approuvée récemment. Ainsi nous étions engagés dans l’organisation d’une réunion de deux jours pour présenter des propositions pour une nouvelle législation de l’environnement; deux jours aussi pour adapter le Código Minero; hier, nous avons examiné de près le règlement de la loi sur la protection de la faune et de la flore sauvage, et la semaine passée, c’était au tour du règlement de la loi spécifique concernant le reboisement forestier d’Oruro. Tout cela se passe en collaboration avec le gouvernement local et national ainsi que les membres du parlement (maintenant appelé Asamblea del Estado Plurinacional). Naturellement, approuver des lois et effectivement les faire respecter, sont deux choses différentes, mais, qu’à de telles réunions, chaque fois, de 100 à 160 personnes participent, est quand même un phénomène exceptionnel qui indique l’intérêt pour prendre part à la gouvernance.

2. Encore plus de réunions et d’activités ont été réalisées par les gens qui étaient directement impliqués à la défense de l’environnement. Le programme pour un « Octobre Bleu » fut présenté lors d’une conférence de presse. Durant un mois, avec toutes sortes d’activités, la population sera conscientisée à l’urgence de respecter et protéger nos rivières et nos lacs. Par contre, les communautés limitrophes qui justement s’organisaient à la défense de leurs territoires aquatiques (CORIDUP), sont déçues. Des décisions effectives de la part du gouvernement concernant la rivière Desaguadero, les lacs Uru Uru et Poopó (audit environnemental et la déclaration de zone d’émergence), se font attendre. Presque à tous les jours il y a des réunions de travail dans les différents villages et on se promène de Caïphe à Pilate dans les ministères à La Paz. Si la semaine prochaine, on n’arrive pas à des mesures promises, à partir de lundi, 19 octobre, on met en perspective des moyens de pression.
Les discours d’Evo Morales à l’international, à la défense de la Mère Terre, sont dans les faits, scrutés et pesés par rapport aux pratiques de son gouvernement et la différence entre les deux est grande. Dans les conflits entre l’industrie extractive ( les mines, le pétrole et bientôt le lithium) les communautés indiennes ne se sentent pas assez protégées et consultées (respect pour des lieux vulnérables, droit à l’ingérence, indemnisations pour les dégâts environnementaux, droit à la participation aux bénéfices).

3. Concernant les études socioculturelles et environnementales ainsi que leurs applications, il y a du pain sur la planche. Maintenant que les études sur la salinisation et la pollution occasionnées par les eaux de l’industrie minière (avec de l’arsenic, du plomb, du cadmium,...) sont achevées, nous sommes devant la mission de travailler à des filtres d’eau pratiques et abordables.
Ces jours-ci, un groupe de techniciens d’Autriche s’affairent sur l’énergie solaire et le creusage des puits d’eau.
Six projets de recherches sur l’environnement et la culture de la quinua débutent sur l’initiative de PIEB ( Programmes pour la Recherche Stratégique en Bolivie), avec la collaboration de CEPA. La grande demande pour la quinua de la part de l’Europe, n’a pas seulement provoqué une grande hausse des prix, de sorte que la quinua n’est plus abordable pour la population locale, mais a aussi mené à des méthodes de production inacceptables, provocant des dommages irréparables à la terre et à la nature.
Concernant des études sur le racisme et les relations inter-ethniques, PIEB a approuvé, au niveau national, six projets, dont — à notre grande surprise — deux de CEPA. Cela nous permettra de faire des recherches sur les relations socioculturelles et des identifications ethniques parmi les groupes de populations indiennes; d’une part, chez les plus pauvres (les Uru Muratos, des pêcheurs des lacs Uru Uru et Poopó) et d’autre part, chez les plus riches (les Aymaras des villages limitrophes à la frontière chilienne. Dans le passé, la population (blanche) des villes avait surtout peur des exigences d’une classe appauvrie de campesinos et mineurs; aujourd’hui, on se sent menacé autant par quelques communautés andines devenues économiquement plus fortes, qui, par exemple, s’accaparent des biens immobiliers au centre ville, quand ceux-ci sont à vendre. Dans le temps, nous avons déjà écrit : « les peuples andins conquièrent les villes ».
C’est sans doute une évolution positive que, ces derniers temps, on fait davantage de travaux de recherche en quête de solutions pour des problèmes sociaux, et qu’on tient de plus en plus compte des études sociales et anthropologiques dans le travail de développement.

4. Entre-temps, il est aussi devenu évident qu’on ne peut pas parler d’une persécution de l’Église en Bolivie. On vient de signer une nouvelle entente de collaboration entre l’État et l’Église catholique concernant l’enseignement, les soins de santé et l’action sociale. Maintenant que la lutte électorale est engagée, des partis d’opposition de droite essayent encore de se montrer comme les défenseurs de l’Église et de la foi. La conférence épiscopale a même trouvé nécessaire de condamner publiquement l’abus des célébrations eucharistiques et autres manifestations religieuses à des fins politiques.
Mais la tension n’est pas tout à fait disparue. La direction de l’Église demeure méfiante vis-à-vis la politique gouvernementale. Même à l’intérieur de l’Église, à ’la lecture des signes du temps’, on arrive à des conclusions divergentes, et cela se manifeste, entre autres, dans la formulation des priorités et attentes à l’égard de la ‘Mission Permanente’ qui, sur la proposition de la Conférence épiscopale d’Aparecida (2007), s’est mise partout en marche. Le réseau continental AMERINDIA a publié un livre à ce sujet (‘La Misión en Cuestión, Bogotá 2009), dans l’espoir de donner une impulsion à la conservation et surtout l’actualisation de l’héritage des conférences de l’Amérique latine de Medellín, Puebla, Santo Domingo et Aparecida. En tant que groupe AMERINDIA à Oruro, nous poussons la charrue dans le même sens. Le démarrage pour des changements de structure et de mentalité, réalisé grâce à la théologie de libération et les communautés de base de l’Église, ne doit pas se perdre.

Gilberto Pauwels
Oruro Bolivia

Wednesday, July 1, 2009

Quelques questions sur la Bolivie.

Bonjour tout le monde,

Nous ne sommes pas dans les nouvelles mondiales. Ces derniers temps, c’est tranquille concernant la Bolivie. Les visions et actions, si différentes quelles soient, des présidents respectifs de la Bolivie et du Pérou, ont bien provoqué quelques flammèches, aussi la mise en place d’une union continentale a donné l’occasion à un peu plus de réunions et d’accolades mais il n’y a pas eu de pots cassés. Pourtant, il y a quelques processus en marche qui méritent l’attention.

1. Du terrorisme en Bolivie ? À Santa Cruz on a démantelé une bande armée qui avait l’intention de semer la terreur et qui voulait organiser un réseau armé pour forcer l’indépendance de l’Orient. Il s’agissait d’étrangers avec une ‘expérience de séparation’ (la Hongrie, l’Irlande), venus sur invitation des membres de l’opposition locale. Il n’est pas très claire jusqu’où s’étendent les tentacules de cette organisation. C’est le même groupe qui a fait l’attentat à la dynamite contre la demeure du cardinal Julio Terrazas, afin d’accuser le gouvernement comme auteur et de créer ainsi un climat d’agitation et d’insécurité.

2. De la persécution de l’Église en Bolivie ? Faux. Au début, l’attentat contre la maison du cardinal avait été présenté comme une autre preuve que le gouvernement d’Evo Morales veut causer du tort à l’Église. Des petits conflits et des déclarations sorties hors contexte sont largement amplifiées par l’opposition, inclus au niveau international, afin de donner une image anti-cléricale du gouvernement. C’est un fait que la hiérarchie cléricale réagit d’une façon crispée suite à la perte des privilèges, après l’approbation de la nouvelle constitution. C’est un fait aussi que le président et des membres du gouvernement participent, non seulement à des cérémonies religieuses mais aussi à des rituels autochtones et autres coutumes; ce qui vaut d’ailleurs pour la grande majorité des Boliviens. On prend aussi de plus en plus des initiatives oecuméniques et inter-religions. Et c’est encore un fait qu’à l’intérieur de l’actuel processus de décolonisation, l’Église se fait rappeler, de temps en temps, sa faute historique. Appeler ce processus de changement inévitable et hautement positif, une persécution de l’Église, est une exagération et donc un mensonge.

3. Une crise sociale et économique en Bolivie ? La présence de la Bolivie sur le marché mondial est très marginale et de ce fait le pays n’a pas été pleinement affecté par la crise. La réglementation gouvernementale concernant le pétrole et la montée des prix des matières premières ont procuré, jusqu’au début de la crise, des revenus imprévus, qui ont rendu directement des mesures populaires possibles pour des groupes sociaux faibles. Comme jamais auparavant, le cours du dollar est resté stable depuis des mois, (7,07 Bs). Par contre la prudence est à conseiller pour un futur prochain. Il y a déjà moins d’argent de disponible. Les prochaines élections générales (décembre 2009) pourraient tenter le gouvernement d’être exagérément généreux et d’accorder des concessions, pour lesquelles les comptes devront être présentés.

4. Du racisme en Bolivie ? Il y a eu quelques incidents remarquables. Ils doivent probablement être considérés comme l’expression d’un racisme latent, vieux de plusieurs siècles. Dans un certain sens le racisme est devenu plus visible parce qu’on y est devenu plus sensible. La désapprobation internationale du racisme joue d’influence. Peut-être que le racisme de fait a diminué ces derniers temps, parce qu’on peut moins se le permettre à cause du contrôle social. Il reste que cela demeure un problème énorme, il s’agit d’une mentalité latente et une attitude structurée qui seulement pourra être débâtie par un long processus de conscientisation et par une rectification des rapports de force. Pour le moment, on parle plus d’un processus de décolonisation qui doit être promu autant parmi les auteurs des pratiques racistes que parmi les victimes.

5. Des changements climatiques en Bolivie ? Considérant que nous passons actuellement la période la plus froide de l’année (- 14 C° la nuit), nous rêvons d’un réchauffement. Mais le réchauffement global ne sera pas tellement positif pour l’altiplano, du moins, c’est ce qu’on nous dit. On prédit bien une augmentation de la pluie dans des périodes plus courtes; donc des inondations et plus d’érosion. Mais aussi des périodes plus longues de réchauffement intense, d’aridité et possiblement, avec plus de nuits de gel. Cela exigera des recherches dans une gestion créative de l’eau.

6. Une conscience écologique en Bolivie ? Le président Evo Morales a tenu quelques discours remarquables devant les Nations Unies concernant l’environnement et les visions autochtones du monde. (German Condarco — collaborateur de CEPA, mais aussi jiliqata, chef de sa communauté — rappelait à Evo ses paroles lors de la visite de ce dernier à son village de Choquecota). Les ministères et les services gouvernementaux arrivent avec beaucoup d’hésitations à des actions concrètes. Par contre, au niveau juridique, on abat du travail dans la mise en place des normes, basées sur les droits de la Mère Terre — en tant que personne! — ( et non seulement sur la base d’un droit de la population à un environnement de vie sain).
Ceux qui visitent la Bolivie sont surtout impressionnés — malgré toutes les belles paroles — par les anneaux de déchets de plastique autour des villes et des villages et des traînées de déchets le long des rues et des places. La vision andine n’a pas de réponse pour une situation de pollution non-organique. Cela prendra encore un long processus d’éducation ( et d’imposition).

Des thèmes de ce genre font notre ordinaire à CEPA (Centre pour l’Écologie et Peuples Andins). Nous sommes en plein dans une période de formation, de campagnes, d’actions et de réunions de travail. Nous venons de fêter le Nouvel An de l’hémisphère sud ( le solstice d’été du 21 juin), ce que vous fêtez au Nord le 21 décembre. Ici nous le faisons sans Noël, mais avec les feux de la St-Jean, la fête du précurseur du Christ. Un nouveau début donc, une nouvelle chance pour rendre possible le « bon vivre » (vivir bien) pour tout le monde. Pour la première fois, cette fête autochtone a été proclamée ‘journée fériée’ par le gouvernement.

Gilberto Pauwels.
CEPA Oruro.

Thursday, May 7, 2009

La douleur de la Pachamama

Amigos,

En 1997, Walter Lotens écrivait un livre ayant comme titre : « La douleur de la Pachamama ». Il y parlait du passé et du futur, des traditions des Andes et de la modernisation, ainsi que de la Mère Terre. Il décrivait des lignes de force de ce qui se passe en Bolivie actuellement, mais avec des interrogations prudentes sur les chances de succès de la révolution tranquille alors en marche. Les dernières nouvelles concernant des organisations de terreur montrent, en effet, que leurs adversaires sont capables de faire, en tout état de cause, l’inadmissible, pour empêcher ce virage. Cependant, le vrai combat se fait chaque jour dans la vie des petites gens.

  1. LUNDI. La Pachamama gémit, je l’ai vu. Toute la journée nous nous sommes promenés dans la région entre la mine d’étain de Huanuni et le lac Poopó. L’eau sale de la mine pollue le lac. Mais il y a plus. Les déchets de la mine ont rempli le lit de la rivière avec l’effet de couvrir des plaines énormes d’un sable minéral pollué et infertile. Avec plus de 500 habitants qui vivent aux alentours, quatre maires ( de Huanuni, Poopó, Machacamarca et El Choro), et des représentants de six vice-ministères, nous avons visité les endroits les plus affectés. Plus que jamais on parle de la Pachamama. Pour CORIDUP ( l’organisation de coordination de 80 communautés menacées par l’exploitation minière) et pour Limbert, Clemente, Johny, Jaime et Norma de CEPA, qui ont collaboré à organiser cette inspection massive, il est acquis : nous ne lâcherons pas tant que cette région ne sera pas déclarée zone sinistrée écologique (declaración de zona de emergencia ambiental). Basé sur cette déclaration, des propositions de mesures concrètes sont déjà élaborées pour mettre fin à cette contamination.

  2. MARDI. CEPA (Centre pour l’Écologie et peuples Andins) est envahi par des enfants. Curieux, ils regardent dans notre jardin la grande sphère terrestre malade, qui se trouvait, le Jour de la Terre, au milieu de la plaza, et sur laquelle les passants avaient pu coller plein de messages. Les enfants représentent les « patrouilles écologiques » de 14 écoles, des petits groupes de surveillance qui conscientisent leurs camarades pour un plus grand respect des plantes et des animaux et qui oeuvrent pour la propreté de leur école en incitant de jeter les déchets dans les poubelles. Ce sont les alliés de la Pachamama.

  3. MERCREDI. Une douzaine de personnes de CORIDUP partent pour La Paz, avec Clemente et Jaime de CEPA, pour faire le suivi de plusieurs questions :
    - La déclaration de « zona de emergencia ambiental » pour la région de Huanuni.
    - L’enquête qui traîne sur les conséquences de l’exploitation aurifère de la
    compagnie Inti Raymi dans le bassin de la rivière Desaguadero.
    - Le projet de loi pour proclamer le lac Poopó et Uru Uru réserve naturelle. (à l’exemple du Parc Sajama)

    - L’organisation de la deuxième réunion de travaux entre les gouvernements nationaux et régionaux , les compagnies minières et les communautés rurales concernant la pollution et la gestion des eaux.
    Ils sont revenus avec des perspectives prometteuses.

  4. JEUDI. - Marcelo, Marco et Anaïs ( une volontaire flamande) organisent avec des étudiants un forum sur la décolonisation. Il ne s’agit pas tant d’un combat contre des colonisateurs externes mais plutôt de structures de mentalité coloniale, inconscientes, en chacun de nous. Après l’abolition de l’esclavage, beaucoup d’ex-esclaves ont dû apprendre, non sans difficultés, comment vivre en hommes libres. Les « enfants de la Pachamama » (titre d’un vidéo qu’Omer D’Hoe est venu tourner ici, il y a quelques années) se trouvent maintenant devant des défis semblables.
    - Le cours de « formation politique » à CETHA Socomani pour les partenaires de Broederlijk Delen, s’achève. Une dizaine de personnes de CEPA et de proches collaborateurs y ont assisté. Non, il ne s’agissait pas d’un endoctrinement idéologique mais un exercice d’approfondissement d’analyses sur ce qui se passe et ce qui nous attend comme travail.

  5. VENDREDI. Le premier de mai. La radio des Oblats, Pio XII, à Siglo XX (Norte de Potosí) existe depuis maintenant 50 ans et cela se fête. Une radio qui, parce qu’elle a appris à écouter, a dû se convertir plus d’une fois, d’abord à une radio pour les mineurs, ensuite à une radio-campesino. La commutation à une Radio Andine (nature et culture) est en marche. La radio Pio a dû affronter des dictateurs et de la violence pour continuer à donner la parole aux organisations populaires. Les mineurs ont ouvert la voie mais finalement c’est un Aymara, Evo Morales (de Carangas – Oruro, une région où les Oblats sont actifs depuis plus de 50 ans) qui fut élu président de la Bolivie. Cette histoire a été évoquée lors de la célébration, et de fait, nous montre où se trouve actuellement la parole et le pouvoir. Il faut croire qu’un épisode vient de se terminer définitivement. Les sans-voix sont maintenant la Pachamama et les générations futures qui, quoi qu’il en soit, voudront continuer à vivre sur place avec elle.

  6. SAMEDI. Le temps des pluies est fini; la récolte des pommes de terre dans les champs de CEPA à Chuzekery nous attend. La Pachamama a été généreuse. Entre-temps on a construit des enclos où courent des lamas et des moutons.

Le président Evo Morales a obtenu avec un discours devant l’ONU, de déclarer le Jour de la Terre, le Jour International de la Mère Terre, avec tout ce que cela peut signifier en dynamique de visions, de symbolique et d’agir rituel. Il pourrait être le début d’une nouvelle période de confrontation et/ou de dialogue avec des nations autochtones, un « tinku » ( une rencontre / un combat rituel / un déplacement de frontières), sur quoi ni les « originarios » eux-mêmes, ni l’État, ni l’enseignement, ni les Églises sont préparés.
Il n’en manquera pas en créativité mais il y aura toujours à quelque part quelqu’un qui en souffrira.

Gilberto Pauwels
Oruro Bolivia.

Wednesday, April 29, 2009

Le Sud et le Nord

Amigos,

Juan Carlos Montoya part pour une tournée de trois semaines en Flandre. Il est un Aymara de Corque et agronome; il est devenu le responsable départemental des préoccupations environnementales à Oruro et est aussi le fondateur de la section de développement rural à la faculté d’agronomie de l’université locale. Comme collaborateur occasionnel de CEPA (Centre pour Écologie et peuples Andins) il a prit en charge d’informer des gens et des groupes en Flandre sur les problématiques sociales et environnementales dans les relations entre les compagnies minières polluantes et les communautés andines des villages ruraux et des périphéries menacées de la ville.

  1. La visite de Juan Carlos est la continuité de toute une série de gens d’origine indienne et/ou ouvrière qui, à partir d’Oruro, sont allés témoigner en Europe de la vie, de la bonne et mauvaise fortune et des rêves de leur peuple. Ils sont tous restés actifs dans le travail du développement (Félix, Carol, Digna, Ely, Orlando — décédé —, Mirka, Ruth); ils continuent la recherche anthropologique (Ricardo) ou s’engagent dans une fonction publique comme sénatrice (Isabel), préfet (Luis Alberto) ou vice-ministre (Isaac).

    Des expériences semblables peuvent parfois avoir des effets à long terme. Il y a quelques jours, j’ai rencontré dans la rue Félix Cárdenas. Nous avons échangé sur les nouveaux vice-ministères pour la décolonisation. Hé! oui, me disait-il, dans un intermède, quand j’étais en tournée en Flandre en 1993, sur invitation de Broederlijk Delen, j’ai pu participer à une rencontre sur le thème ‘’Stop au racisme’’. Le mois prochain nous allons organiser, à Cochabamba, une rencontre nationale autour du même slogan.

  2. Probablement, à la fin de l’année, Francisca, qui travaille à la bibliothèque de CEPA, ira avec son enfant pour quelques semaines en Allemagne. Elle est Chipaya et la première femme de ce petit groupe ethnique qui fait des études universitaires, en anthropologie en plus. Avec des linguistes de Berlin, dans le cadre d’une recherche de doctorat, elle a entrepris une étude de la langue de son ethnie et elle est maintenant invitée à aller mettre les derniers points sur les « i ». La cueillette patiente de données sur l’histoire et la culture de cette petite minorité pourrait devenir la contribution la plus tangible et durable de CEPA aux peuples andins, même si cela ne figurait pas directement dans le planning du Centre.

  3. Il se peut que le travail en développement internationale soit rendu à une phase de « prendre son temps » ou en «dé-plannification ». Peut-être comme conséquence à la critique sur la collaboration en développement, tous les accents sont allés sur le planning et sur la réalisation des objectifs à atteindre, de préférence au plus court terme possible. Nous entendons maintenant les premières critiques de cette méthode.
    « Le planning mène aux recettes, à la technocratisation, au plus offrant et à la négation du contexte local. Le contraire du planning est la liberté de pouvoir tomber et se relever, pouvoir ‘chercher’ sans suivre de recettes. On peut bien planifier un peu mais seulement comme réponse à un questionnement où le planning n’est plus un but mais un moyen. » (W.Easterly). Il semble donc qu’il ne s’agit pas de changer le planning mais de planifier le changement permanent.

  4. En attendant, la dynamique des processus sociaux en Bolivie nous force à la créativité et à la souplesse. Un exemple : depuis des années nous accompagnons, en tant qu’organisation à la défense de l’environnement et des cultures, les communautés rurales du bassin de la rivière Desaguadero, dans leur lutte contre la pollution par l’exploitation aurifère. Mais tout à coup, tout change. C’est fini, nous arrêtons, dit Inti Raymi, en septembre nous fermons les mines. (Kori Kollo et Kori Chaca). Ainsi, l’organisation des communautés menacées, (CORIDUP) nous demande de collaborer pour que le géant multinational et propriétaire, Newmont, ne s’échappe pas avant d’avoir réglé ses comptes sociaux et environnementaux. Mais serait-il vrai que tout est fini ? Ne déplaceront-ils pas simplement l’exploitation minière vers une autre compagnie avec comme résultat que tout est à recommencer ? S’agit-il d’une stratégie bien pensée dans le but de pousser la population à supplier pour qu’ils continuent et ainsi de sauver des emplois et des revenus locaux, si minime soient-ils, comparés aux gains que la compagnie fait ? Finalement, ne cèderont-ils pas, soi-disant, pour pouvoir continuer et prendre de l’expansion ? Bien sûr, dans ce cas par exemple, avec des conditions qui font que les organisations environnementales sont réduites au silence et paralysées. Une fois le processus de changement engagé, il deviendra clair pour nous comment réagir.

Devant tout cela, que devons-nous redouter le plus ? De manquer de souplesse et de créativité. Il serait grave qu’on en vienne à la conclusion que nous avons continué à donner les mêmes réponses, alors que les questions avaient été changées depuis longtemps

En attendant, le voyage de Juan Carlos est certainement une opportunité pour peaufiner nos relations internationales et habilités techniques dans la collaboration avec les universités et organisations flamandes.


Gilberto Pauwels
Oruro Bolivia

Monday, April 13, 2009

Vendredi de Pâques

La Semaine Sainte domine toujours la vie publique en Bolivie. Vendredi-Saint est un jour férié, mais dès le Jeudi-Saint on peut déjà quitter son travail un peu d’avance pour participer aux services religieux et coutumes populaires. Le jour de Pâques est déjà moins important et le lundi de Pâques la vie de tous les jours reprend.


  1. Maintenant que la nouvelle constitution a déclaré la séparation entre l’Église et l’État, les media ont surtout porté leur attention sur la façon dont les dirigeants du gouvernement et des institutions officielles participent aux services religieux. Cette année, la dépouille du Christ exécuté n’a pas été accompagnée dans les processions par les militaires armés. Et le président Evo Morales ? Pour le moment il est en grève de la faim pour inciter le parlement à approuver la loi électorale qui doit rendre possible des élections générales en décembre.
  2. Pourquoi le vendredi saint semble-t-il être plus important que Pâques pour les gens et les communautés dans les Andes? L’explication la plus évidente est que le catholicisme a été implanté en provenance directement de l’Espagne. Il suffit d’observer les processions actuelles espagnoles pour comprendre dans quel moule culturel le christianisme a été importé ici. Avec comme conséquence directe la quantité énorme de statues et de tableaux du Christ crucifié, mais très peu de la résurrection et du ressuscité. Les sanctuaires et les images — le matériel traditionnel catéchétique de préférence — sont surtout dédiés à la croix, à Marie et aux saints, avec Santiago (St Jacques), patron d’Espagne, à la tête. Comment le message de Pâques pouvait-il se faire entendre ?

  3. Mais il y a plus. Dans la vision des peuples andins concernant la vie et la mort, la résurrection du Crucifié n’est pas un événement si exceptionnel. On estime que tous les morts continuent à vivre quelque part dans l’Ouest, et de là, de temps en temps, ils reviennent visiter les vivants. Le midi de la Toussaints, les défunts viennent visiter leurs familles. On passe ensemble toute la nuit avec eux. On veille, on mange et on boit. Le midi, le Jour des Morts, on se dit adieu et ils retournent ‘chez eux’, dans leur propre monde. Et c’est bien comme ça, car si les morts continuent à déambuler dans notre monde, c’est un mauvais signe. Cela signifie qu’ils ne sont pas acceptés par Dieu et qu’ils rôdent ici obligatoirement pour importuner les gens. Pour les peuples andins, que Jésus vient faire une petite visite à sa mère et ses amis, n’a pas besoin d’être souligné, c’est dans la ligne de leurs attentes.

  4. Mais Jésus n’est pas n’importe quel défunt. Il est un sacrifié, —dans le sens stricte — il s’agit de la mort violente d’un innocent. Il est manifeste que ceci revêt une signification spéciale ici, les situations étant semblables. Il y a quelques années, une jeune servante a été assassinée, à coups de couteau, par son patron. Inocencia était son nom. Personne ne l’a connue, mais au milieu du cimetière des pauvres il y a une tombe pour elle et à chaque jour on demande encore, dans les paroisses, à célébrer des messes à son intention. On croit qu’elle accorde des faveurs à qui se souvient d’elle, le sacrifice de sa vie ne peut avoir été vain et inutile. La commémoration du Christ, torturé à mort, semble se trouver dans la même ligne de pensées.

  5. Alors, il est qui ce crucifié, pour les communautés andines ? Un autre fait peut l’illustrer. Un groupe de Quechuas quitte l’église, après avoir assisté à la messe avec dévotion, transportant la grande croix qu’ils avaient apportée. À la porte de l’église, ils déshabillent la croix du grand drap blanc avec lequel ils l’avaient habillée, ils la couvrent d’un poncho et la coiffent d’un chulu (la tuque andine). À ma question à savoir pourquoi ils font ce rite ils me répondent de façon courte et claire : « Parce qu’il est un des nôtres.» Et ils partent, habillés avec leur costume traditionnel, avec leurs danses et musiques pour faire leur rituel ailleurs. La conclusion : l’identification du Christ crucifié avec la population indienne pauvre du campo n’est pas une invention de la théologie de la libération; c’est une réalité vécue et encore actuelle. Pour eux, le torturé à mort est quelqu’un qui apporte la vie, qui rend fécond. Pour les gens des Andes, la fête de Pâques est donc incluse dans le Vendredi Saint. Elle y donne son sens, de là, le Vendredi de Pâques : vivre sa vie, la risquer, la donner pour les autres, comme Jésus l’a fait.

  6. Ou, est-ce chercher trop loin ? Un dernier petit exemple pour clarifier ou pour compléter. Un vieil indien chipaya, Don Santiago, me raconte l’histoire religieuse de son peuple. Nos lointains ancêtres, dit-il, ont fait des sacrifices humains. Ils pensaient que Dieu et la Pachamama (Mère Terre) le leur demandaient pour ainsi transmettre la vie. Plus tard ils découvrirent qu’ils pouvaient remplacer l’effusion de sang par le sang des animaux et ils firent des sacrifices de lamas, de moutons et de porcs, ... Ensuite nous apprenions que nous pouvions nous adresser à Dieu avec de l’encens pour demander le pardon, pour le remercier ou pour le supplier. Cela se passe maintenant comme ça, d’une manière ou d’une autre, mais moi je suis arrivé à la conclusion, dit-il, que nous pouvons nous diriger à Dieu , comme ça, directement. Que Dieu n’a besoin de rien pour être avec nous. Dans d’autres occasions, Santiago affirme que l’important c’est donner, partager avec les autres; c’est ce que Dieu attend de nous.

    Au fond, le fossé entre ce que prêche l’Église et le vécu religieux des gens est difficile à franchir.

Cet après-midi je m’en vais dans les dunes d’Oruro, non pour chasser les lézards, comme c’est la vieille coutume, mais pour observer comment des artistes d’Oruro et d’ailleurs, sculptent l’histoire de la passion dans le sable. Depuis quelques années, ceci est devenu — comme le Carnaval de la Virgen del Socavon — une nouvelle attraction autour d’une tradition religieuse.

Gilberto Pauwels,

Oruro Bolivia.

Sunday, February 22, 2009

Fièvre de l'or.

À notre arrivée sur la ‘plaza’ de La Joya, un spectacle inquiétant nous attend. Deux groupes de villageois se font face, se criant et s’accusant. Parmi les ‘contratistas’ on distribue des bâtons de dynamite et de temps en temps on entend des salves. Un père renie publiquement sa fille, un frère s’oppose à sa soeur, des jeunes invectivent un oncle ou une tante. La fièvre de l’or est une maladie dangereuse. Que se passe-t-il ?

  1. En chemin nous croisons une auto de police avec le pare-brise fracassé, mais nous ne réalisons pas, qu’en fait, elle est en fuite. Nous, (avec Johnny, Clemente et Limbert de CEPA), étions invités à assister au lancement d’une initiative originale : une entreprise communautaire (‘empresa comunitaria’) d’un village dont les habitants veulent exploiter ensemble leur montagne d’or. À notre arrivée, les partisans de cette initiative nous mettent au courant que les ‘contratistas’ qui avaient déjà commencé l’exploitation dans les puits de la montagne à leur propre compte, s’opposent au projet communautaire et qu’ils détiennent en otage les dirigeants du projet afin d’empêcher son lancement. Je prends mon courage à deux mains et demande au groupe des ‘contratistas’ la permission de voir les otages. Une fois rejoint les otages, René et Rolando, je décide de rester avec eux.


  2. La Joya est un village situé au pied d’une montagne d’or du même nom, où déjà, du temps des Incas, on creusait pour exploiter l’or et l’argent. Dans les années 70, Inti Raymi, une compagnie minière américaine, maintenant devenue la propriété de Newmont, le plus grand producteur d’or au monde, acquiert les droits d’exploitation de toute la montagne. Par contre, la compagnie préfère s’attaquer d’abord à une autre colline, Kori Kollo, à quelques kilomètres de là et plus riche en or. Entre-temps cette colline s’est transformée en un trou de 250 m. de profondeur, rempli d’eau polluée, où l’or et l’argent, obtenus par lessivage à la cyanure, pour une valeur de plus de 2 milliards de dollars, furent transportés au Nord. Actuellement on continue à ronger les collines avoisinantes.

  3. Par contre, les habitants du village de La Joya refusent de donner la permission à Inti Raymi de transformer leur montagne en un trou béant. Ils veulent une exploitation seulement via les puits d’extraction, comme jadis dans le Cerro Rico de Potosí. Inti Raymi décide alors de les laisser faire à leur propre risque. 33 groupes, au total 171 ‘contratistas’ peuvent se mettre au travail à condition qu’ils vendent leur minerai non-lavé à Inti Raymi, chaque groupe a droit à 60 tonnes (trois camions) par mois. Seul l’acheteur lui-même détermine le poids et la teneur en or des cargaisons. Il s’agit de l’exploitation à outrance, sans aucun planning et dans des conditions de travail épouvantables. Les différences sont grandes. J’ai ici devant moi quelques accusés de réception : un groupe a reçu 2000 Bs ( 285 $ US) par camion, et un autre 48.000 Bs (6855 $), selon la teneur. Certains qui trouvèrent une bonne veine purent se permettre de faire travailler pour eux des campesinos du nord du Potosí.

  4. Dans la Réforme Agraire de 1953, le territoire de La Joya, qui appartenait avant à des ‘hacienderos’, fut redistribué entre 168 campesinos. Les descendants de ces 168 ‘sayañeros’ se considèrent tous maintenant propriétaires de la montagne d’or et exigent leur part du butin. Inti Raymi choisi donc de mettre fin au contrat des ‘contratistas’ et de passer le droit d’exploitation à l’entreprise communautaire avec ses 168 familles — entre-temps agrandies — comme propriétaires. C’est ainsi que fut créée la base du conflit qui a éclaté lundi passé et dont nous avons été témoins. Ainsi, Inti Raymi, intentionnellement ou non, a semé dans le village une dissension qui difficilement pourra être résolue. Les ‘contratistas’ veulent continuer à travailler individuellement et au hasard. Les autres veulent une entreprise communautaire avec trois travailleurs par ‘sayaña’ ( 504 au total), avec une production commune et un partage solidaire des bénéfices. De toute façon la production en minerai d’or restera — sans obligations sociales ni environnementales — dans les mains d’Inti Raymi. Mais depuis que l’entreprise communautaire soulève qu’elle peut faire elle-même la transformation, Inti Raymi préfère maintenant appuyer les ‘contratistas’.

  5. Pendant que je commence à comprendre la situation, grâce aux tergiversations des otages avec un groupe de femmes chargées de la garde des otages, nous faisons tout notre possible pour qu’une commission d’autorités vienne résoudre la crise sur place. En vain. En ville, ils ont reçu des informations alarmantes au plus haut point — les nouveaux moyens modernes de la communication amènent des situations surprenantes lors des conflits — et maintenant personne n’ose encore venir à La Joya. Il nous reste qu’à trouver nous-mêmes une solution.

  6. Nous arrivons à un accord pour se réunir demain à la préfecture d’Oruro avec une délégation de 15 personnes de chaque groupe et les membres du gouvernement. Mais quoi faire avec les otages ? Leurs adversaires craignent qu’une fois libérés, ils se dérobent au dialogue. Je propose de les amener à la maison et me pose garant de leur présence à la réunion. Et c’est ce qui se passe. Après sept heures de pourparlers, René et Rolando, soulagés, partent avec nous à Oruro.

  7. Mardi, les deux groupes se sont présentés au complet à Oruro et la réunion a eu lieu à la préfecture. Je suis content d’entendre qu’on est disposé à élaborer une réglementation qui doit permettre aux deux groupes de se fusionner en une seule entreprise. Mais je crains que ce soit un long et difficile processus.
    Le lendemain, (hier) les dirigeants de l’entreprise communautaire viennent nous voir à CEPA avec la demande de les assister dans la gestion environnementale ainsi que dans l’organisation de l’entreprise sur la base des principes des peuples andins. En effet, dans la nouvelle constitution bolivienne on a prévu l’existence de ‘empresas comunitarias’ ( à côté des entreprises publiques et privées ainsi que des coopératives) (art. 306, 307, 311) mais ce que cela comprend est encore loin d’être clair. Au fond, appuyer une telle initiative innovatrice, au beau milieu d’une situation conflictuelle, cela dépasse nos capacités …

    Tout cela témoigne de la dynamique énorme qui secoue la société bolivienne. Et de la maudite habilité avec laquelle les entreprises multinationales savent toujours et à nouveau sauver leurs intérêts.

    Gilberto Pauwels,

Oruro, Bolivia

Tuesday, February 10, 2009

"Otra Bolivia es posible"

L’approbation de la nouvelle constitution par la population bolivienne, via un référendum, a ouvert la porte à une nouvelle Bolivie. Qu’une autre Bolivie est possible n’est plus un rêve de consolation !

  1. Une fois tous les votes comptés au niveau national, il en ressort que 61,5 % (et non 58 %) de la population a voté « OUI » Il y donc eu 23 % de votes de plus pour le « OUI » que de votes pour le «NON. » Dans chacun des 9 départements pris séparément, les votes pour le « OUI » obtenaient au moins un tiers des votes et dans cinq départements, plus de la moitié de la population votait pour l’approbation de la loi; à Oruro 73.5 %, à La Paz 78 %et à Potosí 80 %. Il faut dire que nous sommes déjà habitués à ces chiffres élevés. En comparaison : depuis les 35 ans que je demeure en Bolivie, au niveau national, aucun président, avant Morales, fut élu en moyenne avec plus d’un tiers des voix.
    Hier, la nouvelle constitution a été proclamée solennellement par le président à El Alto. (où 84 % a voté « OUI »)

  2. À peine cinq pour cent de la nouvelle constitution est applicable dans l’immédiat, surtout la première partie, qui porte sur les droits fondamentaux de tous les Boliviens. Dans le cours des prochains mois, des centaines de lois devront être adaptées ou élaborées en accord avec la nouvelle constitution. Le plus urgent est une nouvelle loi électorale, car avant décembre 2009, de nouvelles élections nationales sont prévues. De grands pas en avant sont faits dans la nouvelle constitution, comme : la proclamation d’une large gamme de droits fondamentaux; une plus ample répartition sur tous les groupes sociaux et culturels de la participation à l’économie de l’état; un meilleur contrôle sur les richesses naturelles; décentralisation de l’exercice du pouvoir et liberté de religion basée sur l’égalité.

  3. Ce matin, comme première mesure, le président Evo Morales a fait connaître un remaniement de son cabinet. En tant que CEPA ( Centre pour Écologie et Peuples Andins), nous avons toutes les raisons d’être contents. Non seulement on a créé un nouveau Ministère de l’Environnement et de l’Eau mais aussi un Ministère de la Culture. Jusqu’à hier ce n’était que des vice-ministères. De plus, le Ministère de la Culture obtient un vice-ministère de Décolonisation et cela sur la base d’une proposition élaborée à Oruro.

  4. Cet après-midi Evo Morales était à Toledo. Il est venu mettre en marche le projet d’asphaltage du chemin de Toledo à Corque. ( 52 km ) Cela signifie que seulement le dernier tronçon, de Huachacalla à Pisiga, doit être complété pour faire d’Oruro ‘ un port sec de la Bolivie’ avec comme chemin d’accès une route asphaltée jusqu’à la frontière chilienne. J’ai rarement vu comme aujourd’hui, autant de ponchos verts et rouges réunis pour fêter cet événement.
    Demain, le président remettra à tous les grands villages de la Bolivie ( 35 ) une auto-ambulance.
    Raison de plus donc pour fêter demain, 10 février, la fête départementale, en mémoire de ce qui a été considéré comme le Premier Cri de Libération sur le continent, en 1871, ici à Oruro. Bien qu’on ait dû attendre plus d’un demi-siècle pour la Déclaration de l’Indépendance.

  5. C’est à ces événements historiques que nous avons dédié, dimanche passé, la deuxième édition de notre programme à la Radio Pio XII : « Contexto … texto ». Il y a déjà un certain temps que nous nous réunissions quelques fois par mois comme groupe « Amerindia » avec une dizaine de personnes (dont Geert Van Den Berge), pour analyser et examiner l’évolution dans la société et l’Église. Finalement, nous avons pris la décision de le faire d’une façon hebdomadaire devant les microphones. En effet, nous ne voulons pas seulement constater qu’une autre Bolivie (avec une autre Église) est possible mais désirons y contribuer le plus possible.

D’un — au grand plaisir de tous les agriculteurs — pluvieux Oruro.


Gilberto Pauwels.


N.B. Une petite note explicative sur les ponchos verts et rouges :


À Toledo, au moment de la visite du président Evo Morales, il y avait beaucoup de ‘autoridades originarios’, jilaqatas, en grand apparat. Il est ainsi que ceux de Jach’a Carangas ( le grand Carangas de jadis) s’habillent avec des ponchos verts, tandis que ceux de Toledo portent des ponchos rouges. Les mama t’allas (les femmes de jilaqatas) portent aussi respectivement des polleras et awayos verts et rouges. Les hommes avaient tous leur wist’alla ( pochette de coca), le lasso autour du coup et souvent aussi le Papa Santa Roma dans la main ( bâton ou crosse). C’était impressionnant de voir ces hommes et femmes par centaines.

Gilberto.

Wednesday, January 28, 2009

La Bolivie décide.

Amigos,

C’est tranquille dans les rues. Non seulement devant la maison, où, hier, on a fait l’asphaltage mais aussi dans tout le pays, car aujourd’hui, seulement les véhicules de service avec une permission spéciale ont le droit de circuler. En effet, aujourd’hui aura lieu le référendum pour l’acceptation ou non de la nouvelle constitution. Le véhicule de CEPA circule avec à bord les journalistes de la Radio Pio XII et ceux du réseau national ERBOL.

1. Au fond, tous sont convaincus que la nouvelle constitution sera approuvée par une majorité ordinaire indiscutable. La question est plutôt à savoir quel sera le pourcentage. La chose est importante, non seulement pour tout le pays mais aussi pour chaque département.

Le gouvernement espère obtenir une majorité des 2/3. Cela pourrait inciter le gouvernement à prendre, sans hésitation, des mesures importantes, avant les élections, prévues seulement pour décembre 2009. Dans ce cas la tentation sera forte avec l’appui massif de la population de profiter de la victoire.

Déjà à l’avance l’opposition argumente qu’on peut seulement parler d’une éventuelle approbation si dans chacun des neuf départements la moitié des électeurs se prononcent pour le « OUI. »» Là où éventuellement il n’en sera pas ainsi, on peut s’attendre à de la résistance.

2. Un long processus a précédé cette journée décisive, caractérisé par une tension permanente entre le gouvernement d’Evo Morales et surtout la presse, la direction de l’Église et l’ambassade des USA. Mais le gouvernement n’a pas baissé les bras. Depuis la semaine dernière elle peut compter, à part de posséder son propre canal de télévision et un réseau de radios communautaires, sur son propre journal nommé : « Cambio » (« Changement »)

À la fin, la conférence épiscopale soulignait qu’elle visait seulement une participation consciente de la population au référendum, mais cela n’a pas suffit pour faire disparaître la perception que beaucoup d’évêques préféraient un vote pour le « NON. » Ils sont d’accord maintenant pour dire que le catholicisme ne peut plus être la religion officielle mais craignent un traitement de faveur pour les croyances et rites religieux des peuples autochtones. Par la force des choses il y a aussi les thèmes généraux de l’Église universelle en relation avec la sexualité, l’avortement et l’enseignement de la religion. Mais L’Église catholique s’est clairement distancée de la propagande, même à la télévision, qui disait que celui qui choisissait Dieu devait voter « NON. »

De l’Église de la base il y avait aussi des voix — mais généralement étouffées le plus possible — pour continuer à appuyer fermement l’actuel processus de changement, pour lequel la nouvelle constitution est un instrument important. D’importants acquis de l’Église latino-américaine sont en jeu : l’option de la préférence pour les pauvres, la revalorisation des cultures autochtones, le dialogue inter religieux, la collaboration à la construction d’une société plus juste, plus égalitaire et plus respectueuse de l’environnement.

3. Bientôt commencera le comptage des votes. Ce soir, les résultats globaux seront connus et diffusés dans la presse mondiale. C’est toujours un peu frustrant de voir que souvent on s’arrête là, pendant qu’en réalité, au cours des prochains jours les votes des régions éloignées seront acheminés. Concrètement cela veut dire que le pourcentage des votes pour le « OUI », qu’on connaîtra ce soir, pourrait monter de plusieurs points. Mais en générale la presse internationale ne s’y intéresse plus.

4. Entre-temps, le travail a de nouveau démarré à CEPA (Centre pour l’Écologie et Peuples Andins), après une vacance collective. L’évaluation est derrière nous. Avec une trentaine de personnes — des collaborateurs réguliers et des volontaires — nous avons tracé, la semaine dernière, les grandes lignes pour le travail de 2009. La semaine prochaine nous les fixerons en stratégies et actions concrètes. Dans cette 14e année de l’existence de CEPA, les attentes auxquelles CEPA doit répondre sont encore plus grandes que celles des années antérieures. Mais c’est seulement après le bain culturel des festivités du Carnaval, en février, qu’Oruro se mettra pleinement en marche.


Gilberto Pauwels
Oruro.

Saturday, January 3, 2009

Une revolution.

Bonjour tout le monde,

La fête de Noël a son égal dans les Andes dans la tradition du Pachakuti, une révolution qui rend un autre monde possible. En effet, pour nous, tout le pouvoir va à un nouveau-né, déposé du sein maternel dans la crèche d’une étable. Transposé à l’Altiplano cela signifie : quelque part dans un enclos pour animaux, sous un ciel étoilé, à terre, un enfant enveloppé dans un awayu (une mante pour porter des charges ou un enfant.) Non, ce n’est pas ça Noël !
Pour un émigrant, qui visite son ancienne communauté, il y aura toujours un peu de place dans une petite maison du village, faite d’adobes, sous un toit de paille et de bois de cactus. Mais vu de cette façon, on déplace l’importance de Noël.
Dans les villages des Andes, Noël est la fête des enfants. C’est aussi la période où se prépare l’échange des pouvoirs entre les autorités (jilaqata) des communautés (ayllu) qui a lieu au Jour de l’An.

1) Entre-temps, en Bolivie, le processus de changement trouve son chemin, lentement mais imparable. Le 25 janvier, la nouvelle constitution sera soumise à la population pour approbation. Une partie de l’opposition, qui favorise le «non», essaie de gagner au maximum les appuis de la presse et de l’Église. La stratégie des media est connue : exagérer ou taire la vérité, selon que l’un ou l’autre fait l’affaire pour ou contre. La hiérarchie exige — à juste titre — le droit d’être critique au niveau sociale, mais se laisse trop facilement embarquer par les adversaires du processus de changement. Ce que les évêques disent ou font, devient vite de l’eau au moulin de tous ceux, l’Église elle-même incluse, qui craignent de perdre des privilèges dans la nouvelle Bolivie. La base de l’Église qui n’est pas d’accord avec cette attitude, gronde et appuie la ‘révolution’. En effet, elle est soutenue par tant d’initiatives et de gens qui depuis longtemps se démènent pour la justice, pour la participation et l’égalité, contre l’exclusion et le racisme.
«Celui qui était dans l’étable ne retourne plus dans le palais d’Hérode» dit-on.

2) Pareillement pénible se déroule la ‘révolution’ dans le secteur minier. Dans le courant de l’histoire des Andes, l’exploitation des matières premières a coûté des millions de vies humaines, dues à la silicose et surtout à l’empoisonnement par le mercure. Il y a peu de temps encore, un mineur et une vie d’à peine quarante ans allaient ensemble. Transformer ce «mourir pour produire» en «produire pour vivre» demande des changements fondamentaux au niveau de la redistribution économique, de la préoccupation environnementale et le respect pour les droits socioculturels. L’augmentation des matières premières offrait de grandes opportunités mais elles sont demeurées, en grande partie, inutilisées. Les bénéfices extra ont été écrémés par les multinationales et maintenant que ça va moins bien, on menace avec des fermetures, du chômage et l’abandon des règles environnementales. En tant que CEPA, avec la PIEB (des programmes de recherches au niveau social), nous avons placé, pour 2009, six projets de recherche dans les blocs de départ ; au sujet de la santé publique, une technologie plus respectueuse envers l’environnement ainsi que la justice environnementale. Espérons qu’il nous restera du temps et de l’espace pour mettre les résultats en pratique.

3) Pour les organisations sociales, la période de fin d’année est bien occupée. Aussi CEPA (Centre pour l’Écologie et Peuples Andins) — qui fêtait son 13e anniversaire le 8 décembre — n’y échappe pas. Beaucoup de programmes et d’actions devaient être finalisés. Le moment était venu pour évaluer et faire des rapports et nous ne voulions pas tarder pour jeter un coup d’oeil dans le futur pour voir ce que 2009 pourrait nous réserver. Nous y avons dédié deux jours. Cette année, nous avons porté surtout notre attention aux dizaines d’organisations, associations, institutions, services publiques et travaux de réseaux dont nous faisons partie ou avec lesquels nous avons des ententes. Nous sommes venus à la constatation que finalement, nous ne faisons ou organisons plus rien tout seul. Même la bibliothèque participe à un réseau socioculturel et environnemental de centres de documentation. Début décembre, nous avons organisé un congrès avec plus de 120 participants, des délégués d’une trentaine d’organisations de jeunesse d’Oruro qui prennent l’environnement à coeur. Ils ont élu leur propre comité. De la même façon est né CORIDUP, une association de dizaines de communautés rurales qui se sentent menacées par l’exploitation minière. D’une façon ininterrompue, avec l’appui de CEPA, ils défendent leurs droits. Maintenir notre propre identité dans tout ça, en tant que CEPA, n’est pas une tâche facile. Y a-t-il un nom pour ça ? Un père nourricier ?

Je vous souhaite un temps de Noël qui a des senteurs de Paix par la Justice et une Année 2009 assoiffée d’égalité, de solidarité et d’honnêteté.


Fraternalmente,


Gilberto Pauwels

Oruro – Bolivia.