Sunday, February 22, 2009

Fièvre de l'or.

À notre arrivée sur la ‘plaza’ de La Joya, un spectacle inquiétant nous attend. Deux groupes de villageois se font face, se criant et s’accusant. Parmi les ‘contratistas’ on distribue des bâtons de dynamite et de temps en temps on entend des salves. Un père renie publiquement sa fille, un frère s’oppose à sa soeur, des jeunes invectivent un oncle ou une tante. La fièvre de l’or est une maladie dangereuse. Que se passe-t-il ?

  1. En chemin nous croisons une auto de police avec le pare-brise fracassé, mais nous ne réalisons pas, qu’en fait, elle est en fuite. Nous, (avec Johnny, Clemente et Limbert de CEPA), étions invités à assister au lancement d’une initiative originale : une entreprise communautaire (‘empresa comunitaria’) d’un village dont les habitants veulent exploiter ensemble leur montagne d’or. À notre arrivée, les partisans de cette initiative nous mettent au courant que les ‘contratistas’ qui avaient déjà commencé l’exploitation dans les puits de la montagne à leur propre compte, s’opposent au projet communautaire et qu’ils détiennent en otage les dirigeants du projet afin d’empêcher son lancement. Je prends mon courage à deux mains et demande au groupe des ‘contratistas’ la permission de voir les otages. Une fois rejoint les otages, René et Rolando, je décide de rester avec eux.


  2. La Joya est un village situé au pied d’une montagne d’or du même nom, où déjà, du temps des Incas, on creusait pour exploiter l’or et l’argent. Dans les années 70, Inti Raymi, une compagnie minière américaine, maintenant devenue la propriété de Newmont, le plus grand producteur d’or au monde, acquiert les droits d’exploitation de toute la montagne. Par contre, la compagnie préfère s’attaquer d’abord à une autre colline, Kori Kollo, à quelques kilomètres de là et plus riche en or. Entre-temps cette colline s’est transformée en un trou de 250 m. de profondeur, rempli d’eau polluée, où l’or et l’argent, obtenus par lessivage à la cyanure, pour une valeur de plus de 2 milliards de dollars, furent transportés au Nord. Actuellement on continue à ronger les collines avoisinantes.

  3. Par contre, les habitants du village de La Joya refusent de donner la permission à Inti Raymi de transformer leur montagne en un trou béant. Ils veulent une exploitation seulement via les puits d’extraction, comme jadis dans le Cerro Rico de Potosí. Inti Raymi décide alors de les laisser faire à leur propre risque. 33 groupes, au total 171 ‘contratistas’ peuvent se mettre au travail à condition qu’ils vendent leur minerai non-lavé à Inti Raymi, chaque groupe a droit à 60 tonnes (trois camions) par mois. Seul l’acheteur lui-même détermine le poids et la teneur en or des cargaisons. Il s’agit de l’exploitation à outrance, sans aucun planning et dans des conditions de travail épouvantables. Les différences sont grandes. J’ai ici devant moi quelques accusés de réception : un groupe a reçu 2000 Bs ( 285 $ US) par camion, et un autre 48.000 Bs (6855 $), selon la teneur. Certains qui trouvèrent une bonne veine purent se permettre de faire travailler pour eux des campesinos du nord du Potosí.

  4. Dans la Réforme Agraire de 1953, le territoire de La Joya, qui appartenait avant à des ‘hacienderos’, fut redistribué entre 168 campesinos. Les descendants de ces 168 ‘sayañeros’ se considèrent tous maintenant propriétaires de la montagne d’or et exigent leur part du butin. Inti Raymi choisi donc de mettre fin au contrat des ‘contratistas’ et de passer le droit d’exploitation à l’entreprise communautaire avec ses 168 familles — entre-temps agrandies — comme propriétaires. C’est ainsi que fut créée la base du conflit qui a éclaté lundi passé et dont nous avons été témoins. Ainsi, Inti Raymi, intentionnellement ou non, a semé dans le village une dissension qui difficilement pourra être résolue. Les ‘contratistas’ veulent continuer à travailler individuellement et au hasard. Les autres veulent une entreprise communautaire avec trois travailleurs par ‘sayaña’ ( 504 au total), avec une production commune et un partage solidaire des bénéfices. De toute façon la production en minerai d’or restera — sans obligations sociales ni environnementales — dans les mains d’Inti Raymi. Mais depuis que l’entreprise communautaire soulève qu’elle peut faire elle-même la transformation, Inti Raymi préfère maintenant appuyer les ‘contratistas’.

  5. Pendant que je commence à comprendre la situation, grâce aux tergiversations des otages avec un groupe de femmes chargées de la garde des otages, nous faisons tout notre possible pour qu’une commission d’autorités vienne résoudre la crise sur place. En vain. En ville, ils ont reçu des informations alarmantes au plus haut point — les nouveaux moyens modernes de la communication amènent des situations surprenantes lors des conflits — et maintenant personne n’ose encore venir à La Joya. Il nous reste qu’à trouver nous-mêmes une solution.

  6. Nous arrivons à un accord pour se réunir demain à la préfecture d’Oruro avec une délégation de 15 personnes de chaque groupe et les membres du gouvernement. Mais quoi faire avec les otages ? Leurs adversaires craignent qu’une fois libérés, ils se dérobent au dialogue. Je propose de les amener à la maison et me pose garant de leur présence à la réunion. Et c’est ce qui se passe. Après sept heures de pourparlers, René et Rolando, soulagés, partent avec nous à Oruro.

  7. Mardi, les deux groupes se sont présentés au complet à Oruro et la réunion a eu lieu à la préfecture. Je suis content d’entendre qu’on est disposé à élaborer une réglementation qui doit permettre aux deux groupes de se fusionner en une seule entreprise. Mais je crains que ce soit un long et difficile processus.
    Le lendemain, (hier) les dirigeants de l’entreprise communautaire viennent nous voir à CEPA avec la demande de les assister dans la gestion environnementale ainsi que dans l’organisation de l’entreprise sur la base des principes des peuples andins. En effet, dans la nouvelle constitution bolivienne on a prévu l’existence de ‘empresas comunitarias’ ( à côté des entreprises publiques et privées ainsi que des coopératives) (art. 306, 307, 311) mais ce que cela comprend est encore loin d’être clair. Au fond, appuyer une telle initiative innovatrice, au beau milieu d’une situation conflictuelle, cela dépasse nos capacités …

    Tout cela témoigne de la dynamique énorme qui secoue la société bolivienne. Et de la maudite habilité avec laquelle les entreprises multinationales savent toujours et à nouveau sauver leurs intérêts.

    Gilberto Pauwels,

Oruro, Bolivia

Tuesday, February 10, 2009

"Otra Bolivia es posible"

L’approbation de la nouvelle constitution par la population bolivienne, via un référendum, a ouvert la porte à une nouvelle Bolivie. Qu’une autre Bolivie est possible n’est plus un rêve de consolation !

  1. Une fois tous les votes comptés au niveau national, il en ressort que 61,5 % (et non 58 %) de la population a voté « OUI » Il y donc eu 23 % de votes de plus pour le « OUI » que de votes pour le «NON. » Dans chacun des 9 départements pris séparément, les votes pour le « OUI » obtenaient au moins un tiers des votes et dans cinq départements, plus de la moitié de la population votait pour l’approbation de la loi; à Oruro 73.5 %, à La Paz 78 %et à Potosí 80 %. Il faut dire que nous sommes déjà habitués à ces chiffres élevés. En comparaison : depuis les 35 ans que je demeure en Bolivie, au niveau national, aucun président, avant Morales, fut élu en moyenne avec plus d’un tiers des voix.
    Hier, la nouvelle constitution a été proclamée solennellement par le président à El Alto. (où 84 % a voté « OUI »)

  2. À peine cinq pour cent de la nouvelle constitution est applicable dans l’immédiat, surtout la première partie, qui porte sur les droits fondamentaux de tous les Boliviens. Dans le cours des prochains mois, des centaines de lois devront être adaptées ou élaborées en accord avec la nouvelle constitution. Le plus urgent est une nouvelle loi électorale, car avant décembre 2009, de nouvelles élections nationales sont prévues. De grands pas en avant sont faits dans la nouvelle constitution, comme : la proclamation d’une large gamme de droits fondamentaux; une plus ample répartition sur tous les groupes sociaux et culturels de la participation à l’économie de l’état; un meilleur contrôle sur les richesses naturelles; décentralisation de l’exercice du pouvoir et liberté de religion basée sur l’égalité.

  3. Ce matin, comme première mesure, le président Evo Morales a fait connaître un remaniement de son cabinet. En tant que CEPA ( Centre pour Écologie et Peuples Andins), nous avons toutes les raisons d’être contents. Non seulement on a créé un nouveau Ministère de l’Environnement et de l’Eau mais aussi un Ministère de la Culture. Jusqu’à hier ce n’était que des vice-ministères. De plus, le Ministère de la Culture obtient un vice-ministère de Décolonisation et cela sur la base d’une proposition élaborée à Oruro.

  4. Cet après-midi Evo Morales était à Toledo. Il est venu mettre en marche le projet d’asphaltage du chemin de Toledo à Corque. ( 52 km ) Cela signifie que seulement le dernier tronçon, de Huachacalla à Pisiga, doit être complété pour faire d’Oruro ‘ un port sec de la Bolivie’ avec comme chemin d’accès une route asphaltée jusqu’à la frontière chilienne. J’ai rarement vu comme aujourd’hui, autant de ponchos verts et rouges réunis pour fêter cet événement.
    Demain, le président remettra à tous les grands villages de la Bolivie ( 35 ) une auto-ambulance.
    Raison de plus donc pour fêter demain, 10 février, la fête départementale, en mémoire de ce qui a été considéré comme le Premier Cri de Libération sur le continent, en 1871, ici à Oruro. Bien qu’on ait dû attendre plus d’un demi-siècle pour la Déclaration de l’Indépendance.

  5. C’est à ces événements historiques que nous avons dédié, dimanche passé, la deuxième édition de notre programme à la Radio Pio XII : « Contexto … texto ». Il y a déjà un certain temps que nous nous réunissions quelques fois par mois comme groupe « Amerindia » avec une dizaine de personnes (dont Geert Van Den Berge), pour analyser et examiner l’évolution dans la société et l’Église. Finalement, nous avons pris la décision de le faire d’une façon hebdomadaire devant les microphones. En effet, nous ne voulons pas seulement constater qu’une autre Bolivie (avec une autre Église) est possible mais désirons y contribuer le plus possible.

D’un — au grand plaisir de tous les agriculteurs — pluvieux Oruro.


Gilberto Pauwels.


N.B. Une petite note explicative sur les ponchos verts et rouges :


À Toledo, au moment de la visite du président Evo Morales, il y avait beaucoup de ‘autoridades originarios’, jilaqatas, en grand apparat. Il est ainsi que ceux de Jach’a Carangas ( le grand Carangas de jadis) s’habillent avec des ponchos verts, tandis que ceux de Toledo portent des ponchos rouges. Les mama t’allas (les femmes de jilaqatas) portent aussi respectivement des polleras et awayos verts et rouges. Les hommes avaient tous leur wist’alla ( pochette de coca), le lasso autour du coup et souvent aussi le Papa Santa Roma dans la main ( bâton ou crosse). C’était impressionnant de voir ces hommes et femmes par centaines.

Gilberto.