Tuesday, November 4, 2008

Un nouveau testament pour la Bolivie.

Bonjour tout le monde,

"Le texte de la nouvelle constitution, qui nous sera présenté pour approbation, me parait une sorte de Nouveau Testament. L’Ancien est surpassé, bientôt nous aurons un nouveau texte de base pour construire notre société." C’est une des comparaisons les plus remarquables que nous ayons pu entendre, ici, sur les derniers événements en Bolivie.

1. Le texte, approuvé à Oruro par l’Assemblée Constituante, a subi un certain nombre de changements drastiques en plus d’un époussetage faisant disparaître des dizaines de fautes esthétiques. Un groupe de personnes à pied, parti de Caracollo (Oruro) se dirigeant vers La Paz (à presque 200 km), pour exiger le référendum sur la Constitution, s’est amplifié en un cortège de 10 km de long de gens de la classe populaire. Ils ont pu célébrer la décision du Parlement que le référendum se réalisera en janvier. Le gouvernement d’Evo Morales souligne ainsi que la base juridique est posée pour le processus de changement qu’on veut entreprendre. Une partie de l’opposition qui approuvait le projet de loi, met l’accent sur le fondé des corrections effectuées. Que s’est-il passé ?

2. Il n’est pas possible d’examiner maintenant toutes les corrections. Elles sont majoritairement en relation avec les structures d’autonomie, les propriétés terriennes et la gestion des richesses naturelles. Il est évident qu’elles sont le résultat de calculs politiques. Après l’euphorie occasionnée par le fait que le référendum aura lieu avec beaucoup de chances que la nouvelle Constitution sera approuvée, plusieurs mouvements sociaux et groupes d’intérêts commencent à protester à cause des concessions faites qui sont quand même importantes. Pour calmer les protestations, le parti MAS avance qu’une nouvelle Constitution est toujours susceptible de subir des retouches plus tard, via le Parlement.

3. Voici un petit exemple de la joute politique que j’ai pu ramasser à partir de divers contacts.
— «Youppie !» s’écrie l’opposition de droite, «dans les élections parlementaires nous avons obtenu que le sénat demeure en place et pas avec trois mais bien avec quatre sénateurs par département, deux pour le gagnant et toujours un pour la deuxième place ainsi qu’un autre pour la troisième place. Même si Evo obtient 80 % des voix dans l’Ouest, nous pouvons avec le reste, récolter deux sénateurs, autant que le vainqueur. Si nous avons de meilleurs résultats dans l’Orient, nous maintiendrons le contrôle du sénat».
— «Il n’en est rien !» dit le parti MAS d’Evo, «notre majorité est si substantielle que nous pouvons nous permettre de constituer une opposition qui peut obtenir une deuxième et éventuellement une troisième place et faire en sorte que nous pouvons conquérir trois ou même quatre sièges dans un département.»
— «Attention!» dit une autre aile du parti, « ces groupes d’opposition concoctés pourrait devenir des mouvements de scission et cela dans deux directions : des gens qui prônent une société plus socialiste et d’autres qui favorisent une société plus autochtone.»
— «Semer la division!» dit l’opposition, «c’est tout ce qu’il faut.»
À suivre.
4. Que nous réserve le futur ? Avec un Nouveau Testament en poche, il est peu probable qu’on retourne vers l’Ancien ( la Constitution actuelle). Le chemin est tracé, les balises fixées. Sans oublier que la situation mondiale actuelle peut amplement ajouter son grain de sel dans tout cela. À court terme, ce qui monte à la surface pour le moment, c’est la demande de décolonisation à l’interne. Oruro met le cap sur une sorte " d’autonomie avec identité propre". En effet, pour diriger ce processus, on a engagé, la semaine passée, deux nouveaux fonctionnaires à la préfecture. On accepte de moins en moins qu’on dirige le développement d’Oruro à partir de l’axe central (La Paz – Cochabamba). Les communautés rurales autochtones et leurs "residentes" (les émigrants en ville) ne veulent plus servir comme tremplin politique pour les gens de la ville.

5. Je viens d’arriver d’un séjour de cinq semaines en Belgique où j’ai fait mes adieux à mon frère aîné Willy, décédé entre-temps. Des adieux aussi à la résidence oblate, située sur la colline à Korbeek-Lo, qui obtient maintenant une nouvelle destination sociale. J’ai été surpris d’entendre et de lire toujours les mêmes questions et remarques concernant le processus de changement en cours en Bolivie. D’où viennent ces réactions négatives stéréotypées? Il y a encore beaucoup à faire sur le plan de l’information concernant les relations Nord-Sud.

6. À ce sujet, j’ai pu assister, la semaine dernière, à quelque chose d’intéressant. Nous étions réunis au ‘salar’ d’Uyuni, avec une vingtaine d’organisations appuyées par Broederlijk Delen (organisme caritatif flamand). Quelques heures entre autres ont été dédiées à la préparation de la campagne de levée de fonds pour Pâques. Pas celle de 2009 mais celle de 2010 ! Quel message pouvons-nous faire résonner en Flandre à partir d’ici, pour qu’il soit profitable aux deux. Cela m’a fait penser à la manière dont on a construit ici la nouvelle Constitution. À partir de la base ! C’est possible !!
Vous allez en entendre parler encore.

Gilberto Pauwels.
CEPA Oruro.

Thursday, September 4, 2008

Goutte à goutte et coups de pouce.

Amigos,

Travailler en développement ne peut plus se faire sans analyses ou planning, et c’est bien ainsi. Mais nous continuons à croire aussi à l’effet de la goutte à goutte et des coups de pouce produits à répétition, où chaque occasion qui se présente est mise à profit. Car de petites gouttes peuvent rendre des déserts fertiles, des coups de pouce continuels peuvent maintenir en vie ou briser une résistance.

Parfois il apparaît plus tard qu’une action qui n’était qu’une petite flamme alluma une mèche lourde de conséquences.

Qu’est-ce qui nous occupait ces derniers temps à CEPA ? (Centre pour l’Écologie et Peuples Andins)

1. Par exemple, samedi dernier, j’étais à trois endroits différents pour une session de formation.
- Ici, à CEPA, se réunissaient 35 membres des organisations sociales et des communautés rurales, accompagnés par Emilio et Angela, pour un cours en formation politique générale. Cette fois on traitait des droits des peuples autochtones.
- À notre centre de formation de Chuzekery, 40 femmes (et quelques hommes) de ERA-Mujeres. (Équipe pour des réflexions andines) C’est un groupe de femmes, fondé, il y a 14 ans au Centre diocésain pour Pastorale Sociale, par Carol Rocha. Avec Limbert de CEPA, ils ont débuté un échange sur le leadership et la production.
- En même temps 30 enseignants se réunissaient dans les locaux de Pastorale Sociale, dans le but de poursuivre une session de cours sur l’environnement et l’éducation. Il s’agissait surtout d’applications pratiques dans des locaux de classe.
- Le jour précédent, j’assistais à une cérémonie où quelques 200 élèves de 10 écoles différentes étaient habillés avec un poncho vert de CEPA, en tant que membres d’une patrouille environnementale. Avec un petit sifflet en main ils surveilleront, à l’intérieur et autour de leur école, pour le respect des plantes et des animaux et le rejet des déchets.
- Vendredi prochain, Marcelo organise une journée d’étude à l’université sur « Inter- culturalisme et la décolonisation », c’est la suite d’une initiative de l’université de Gand.
- Samedi prochain débute à Chuzekery une nouvelle série de fins de semaine sur des Journées Écologiques. Le cycle précédent de Journées Culturelles s’est terminé avec plus de 40 participants.
Ainsi, chaque semaine et surtout les fins de semaine, il se passe quelque chose.

2. Concernant les publications, il y a le Chiwanku (Le Merle), notre feuillet d’information qui donne chaque semaine un peu de nouvelles sur l’environnement et la culture. Mais il y a plus. Il y a quelques semaines, à l’occasion de la Foire du Livre, nous sommes allés à La Paz acheter quelques livres pour la bibliothèque et nous avons en même temps offert notre propre production.
Fraîchement sorti des presses il y a :
- Un texte traitant des danses andines et l’identité de partout dans le monde, écrit par une anthropologue autrichienne. L’étude s’est réalisée principalement par l’Internet, cyber-anthropologie dit Eveline Rocha.
- Une publication sur le village de Salinas de Garcia Mendoza, oeuvre de toute une vie de Macedonio, un enseignant local à la retraite. Une publication semblable sur le village de Huari est actuellement chez l’imprimeur, écrite par Braulio, en chaise roulante. À la fin de cette semaine nous présenterons à Iruma un livre sur ce village, écrit en équipe avec les professeurs et les élèves du collège.
- Dans l’Année internationale de la Pomme de terre, il ne pouvait pas manquer un livre sur la plus importante contribution des Andes pour l’alimentation à l’échelle mondiale. Il contient 13 contributions ressorties lors d’un symposium organisé dernièrement par CEPA sur ce thème. Un petit livre sur la pomme de terre, qui laisse la parole directement aux communautés rurales, passera chez l’imprimeur la semaine prochaine.
- Avec Pastorale Sociale – Caritas, nous avons ré-édité les petits livres de Marcos Van Rijckegem sur les arbres et les serres. Son manuel sur la culture des légumes est de nouveau chez l’imprimeur. Il y a quelques années, nous avons distribué des milliers d’exemplaires.
- Il y a aussi un livre relatant la vie de chaque jour à Villa Sebastian Pagador, à Cochabamba, (une paroisse des Oblats), un quartier d’immigrants d’Oruro

3. Des textes écrits sont souvent le dépôt d’expériences pratiques, comme le petit livre « Justicia Ambiental», apparu, il y a quelques mois. Entre-temps, l’équipe de CEPA qui travaille sur les droits environnementaux (Emilio, Angela, Silvana, Cesar) n’est pas restée les bras croisés. Pour le moment ils s’activent :
- à Antequera pour l’approvisionnement de l’eau potable, avec des camions citernes s’il le faut. Les sources ont tari à cause de l’exploitation de la mine d’étain.
- à Machacamarca, où ils appuient l’organisation d’un référendum concernant une exploitation minière locale.
- à Huanuni pour appuyer une demande déclarant le centre minier territoire sinistré environnemental (comme proposé ici, il y a deux ans, pendant une réunion internationale de jeunesse par le groupe flamand CATAPA) et exiger le contrôle de la construction éventuelle d’une digue pour la purification de l’eau souillée par l’exploitation minière.
- avec CORIDUP (Organisation des communautés qui sentent les rivières et les lacs menacés par la pollution de l’industrie minière) pour surveiller de près l’audit (mesurer les conséquences environnementales) de la mine aurifère Inti Raymi.
Hier, un ‘campesino’ de Chuquiña est venu nous raconter qu’une de ses vaches s’est égarée et qu’elle a bu dans un bassin d’eau proche d’une montagne de résidus de la mine. Elle s’est effondrée sur place et mourut. Régulièrement, le personnel de la mine va ramasser à cet endroit les oiseaux morts. Cyanure …!?
Hier et aujourd’hui, avec l’auto de CEPA, des gens sont allés sur les lieux pour faire les constatations nécessaires …

4. Entre-temps, la Bolivia a une nouvelle date en perspective : le 7 décembre, même si c’est toujours possible, dans le climat actuel d’insécurité, que le référendum que le gouvernement a promulgué par décret pour cette journée, n’ait pas lieu. (encore)
Ce dimanche 7 décembre, le gouvernement d’Evo Morales veut soumettre à la population, la nouvelle constitution pour approbation. En même temps on élira une centaine de sous-préfets (à la tête des provinces) et quelques deux cents conseillers provinciaux. La Paz et Cochabamba auront à élire un nouveau préfet. Les précédents ont été démis de leur fonction lors du dernier référendum, pendant que les autres préfets, incluant Luis Alberto Aguilar à Oruro, restent en poste.

Hier, à Santa Cruz, ont eu lieu les funérailles de l’Oblat canadien, Padre Gerardo Leclaire. Frappé par une moto il est décédé quelques heures plus tard à l’hôpital. Durant plus de quarante ans il a été au service du peuple et de l’Église. Merci, Gerardo
Plus que quiconque, il croyait à l’importance de petits gestes et des attentions pour les milliers de gens avec qui il était en contact. Vu sa légendaire ponctualité, il arrivait, selon les critères boliviens, toujours et partout trop tôt. Encore cette fois.

Gilberto Pauwels,
Oruro, Bolivia.

Thursday, August 28, 2008

Forger à la bolivienne.

Bonjour tout le monde,

« Nous devons battre le fer quand il est chaud » aurait confié le président Evo à ses proches collaborateurs. Lors du référendum révocatoire, Evo Morales a obtenu l’appui de plus des deux tiers de la population. On veut donc le plus vite possible soumettre à la population la nouvelle Constitution pour approbation.

1. Le résultat du référendum était beaucoup plus positif pour le gouvernement que laissaient entendre les chiffres qui ont été envoyés dans le monde le soir du référendum. À mesure qu’au niveau national les résultats des régions rurales rentraient, le pourcentage des votes en faveur du président et son vice-président, grimpait de 61 % à plus de 67 %, pendant que baissait celui des préfets qui n’appartiennent pas au parti gouvernemental. À Santa Cruz, le pourcentage du préfet Costas baissait à 59 % pendant que le vote pour le « oui », en faveur du président dans ce même département augmentait à 40 %, un score jamais obtenu auparavant.

2. Les préfets de La Paz et Cochabamba, deux départements qui, avec Santa Cruz, forment l’axe de développement du pays, ont été destitués par la population. Il y aura donc de nouvelles élections et la possibilité est grande que le parti MAS d’Evo prendra possession de la direction locale dans ces deux départements. Les autres préfets ont été confirmés dans leurs fonctions; seulement celui de Potosi (du MAS), dépassait — comme Evo — la majorité des deux tiers. ( 79 % )

3. La situation du préfet d’Oruro est encore incertaine. Alberto Luis Aguilar (MAS) obtenait à peine un peu plus de 50% des voix, pendant qu’Evo a eu à Oruro (comme à El Alto) 83 %. On est encore en pleine discussion au sujet de l’interprétation des normes pour décider s’il reste en fonction ou non.
Que s’est-il passé ?
- Comme partout, le MAS a obtenu beaucoup plus d’appuis dans les campagnes que dans les villes. La plupart des médias menaient dès le début une campagne systématique contre le gouvernement, aussi à Oruro, surtout contre la direction locale. Les citadins n’acceptent pas qu’à la préfecture — le centre traditionnel du pouvoir — circulent beaucoup de gens en ‘poncho’ et ‘pollera’.
- Le préfet a fait un choix radical en faveur de la population autochtone et leurs organisations. Même à ce point qu’il initiait non seulement des projets pour le campo, mais qu’il laissait l’exécution de la gestion du développement aux gens des communautés rurales. Il s’agit en général de jeunes diplômés, avec peu d’expérience, avec comme conséquence que les résultats n’étaient pas toujours présents. ( Quand je leur demandais comment ça allait à leur travail, ils me répondaient souvent : « Nous apprenons beaucoup»).
- Alberto Luis Aguilar est philosophe et anthropologue de formation, avec des visons théoriques qui ne sont pas acceptées par les citadins et parfois incomprises par la population rurale. La façon de faire politiquement et techniquement laissait à désirer.
- Les conflits sociaux avec plusieurs décès ont été mis sur son compte. (Pourtant, après le conflit avec les mineurs de Huanuni à Caihuasi, où il y a eu deux morts, cela à peine quelques jours avant le référendum, autant les mineurs que les campesinos ont puni leurs dirigeants pour avoir provoqué un conflit violent d’une façon irresponsable. Mais une telle nouvelle n’apparaît plus dans la presse mondiale).
- Dans le parti MAS local existent deux tendances, qui dans leur forme la plus radicale, n’ont même pas appuyé le préfet. Une tendance veut que le parti devienne plus socialiste et l’autre veut un parti plus indigène. Si on en vient à de nouvelles élections pour un nouveau préfet, le MAS sortira victorieux à condition qu’il n’y ait pas de scissions. Les deux tendances ont leurs candidats mais il n’est pas encore clair de quelle tendance il sera. Seul Evo peut prendre pareille décision.
- La question est de savoir si cette tension interne, cette opposition entre socialisme et indigénisme, qui se manifeste maintenant à Oruro, à la longue, ne deviendra pas plus aiguë dans tout le parti. Pour le moment Evo — un dirigeant syndical des ‘cocaleros’ (cultivateurs de coca) de Cochabamba et d’origine indienne Aymara (Oruro) — est le leader incontestable, qui maintient tout et chacun ensemble. Par contre Luis Alberto, fils de mineurs de ‘Norte Potosi’, s’est approché du monde andin via ses études et son travail social dans le cadre de l’Église.

4. Hier, les organisations sociales se réunissaient à Cochabamba avec le gouvernement. Coûte que coûte et le plus vite possible on veut en arriver à un référendum pour la Constitution, s’il le faut avec un décret. On veut aussi en appeler à des élections pour des conseillers départementaux et des sous-préfets (et ainsi, au moyen des provinces rurales, tenir les préfets sous contrôle). En plus, on veut répartir d’une façon plus large, les revenus de la vente du gaz (aux municipalités et populations autochtones) et ne pas restituer les sommes d’argent exigées par les préfets.
De l’autre côté, l’opposition annonce, à partir de demain, nombre d’actions radicales contre le gouvernement via les organisations régionales ....

Il y a quelques jours, nous étions réunis, une autre fois, avec une vingtaine de personnes de CEPA (Centro por Ecología y Pueblos Andinos) pour échanger sur les derniers événements, sous la direction de Felipe Coronado (de l’université) et David Lazo ( Radio Pio XII ). Entre-temps, le travail planifié par rapport à l’environnement et la société inter-culturelle se poursuit. Un peu plus là-dessus la prochaine fois.

Bon gré mal gré, tous nos faits et gestes font partie des travaux pour forger la nouvelle Bolivie. Le fer est chauffé à blanc, de tous les côtés il y a des coups, même des coups de masse. Espérons que le moins possible de gens y laisseront leur peau.

Avec des salutations cordiales,

Gilberto Pauwels,
Oruro Bolivia.

Tuesday, August 12, 2008

Danse Funambulesque.

Amigas/os todas/os,

Samedi-soir. C’est demain que ça se joue. Dans toute la Bolivie, on tiendra une sorte de référendum de confiance dans lequel autant le président Evo Morales, son vice-président ainsi que huit des neuf préfets, à la tête d’un département, laisseront le peuple évaluer leur gestion. Il y a des têtes qui tomberont. Le président aussi sera funambule, mais plutôt sur un câble solide et bien tendu, pendant que la plupart des préfets le feront sur une corde lâche, même ceux du parti MAS.

1. D’où sort ce référendum ?
C’est le président Evo lui-même, qui l’a demandé, il y a quelques mois, quand il voulait prouver, à l’égard de quelques préfets, qu’il pouvait compter sur un fort appui populaire. La résolution fut légalement approuvée par le parti MAS (chambre des représentants) mais fut bloquée dans le sénat (opposition PODEMOS). À un moment donné, ces derniers ont voulu piéger Evo en approuvant le projet d’une façon inattendue. Le fait que beaucoup de membres de l’opposition, par la suite, aient quand même voulu empêcher la tenue du référendum, laisse entrevoir qu’ Evo pourrait réussir son pari et sortir renforcé de ce combat. Combien de chefs d’États, dans le monde entier, pourraient se permettre de proposer leur démission, si 53 % de la population le demande (pourcentage avec lequel Morales avait gagné l’élection) ?

2. Pourquoi alors les troubles sociaux récents ?
Il y a quelques jours, lors d’une intervention policière dans le but d’ouvrir un chemin bloqué, il y a eu deux morts et plusieurs blessés. Pour appuyer leur revendication pour une nouvelle loi de pensions, les mineurs de Huanuni avaient organisé un blocage de la route entre Oruro et Cochabamba et menaçaient de faire sauter un pont avec de la dynamite. La police est intervenue. De quelle façon les victimes sont mortes — chose que le gouvernement voulait éviter à tout prix, — ne sera probablement jamais clarifiée.
D’autres organisations ainsi que les enseignants ont mené nombre d’actions avec la même revendication. Des handicapés exigeaient une allocation annuelle (semblable à celle que les écoliers et les personnes âgées ont reçue). Des organisations régionales exigeaient un pourcentage plus haut des revenus du gaz et du pétrole …
Cela semble être une caractéristique particulière de la politique bolivienne ( … plus ouverte qu’ailleurs), quand le gouvernement a besoin de tranquillité et de votes, au moment des élections, des groupes sociaux profitent de ce ‘moment de vulnérabilité’ pour mettre de l’avant leurs exigences. À ce moment, on perd de vue les conséquences à plus long terme ainsi que la question à savoir s’il n’y a pas de meilleures alternatives.

3.
Au fond, de quoi s’agit-il ?
La question à savoir si la Bolivie doit continuer à se décentraliser ne se pose pas. Tout le monde en est d’accord. Il s’agit de décider quelle forme d’autonomie les différentes régions peuvent recevoir. Deviendra-t-elle une structure d’autonomie à quatre paliers, telle que prévue dans la nouvelle constitution (départementale, régionale, ethno-culturelle et communale) ? Ou une autonomie (néo-libérale) départementale extrême (fédéralisation) extorquée par la partie orientale du pays ?

4.
S’agit-il seulement d’une opposition entre l’Orient (tropique) et l’Occident (altiplano)?
Loin de là. Dans tous les départements, l’opposition des villes versus les régions rurales ou les faubourgs marginaux a monté d’un cran. Des gens ou des groupes se sont opposés sur la base de leurs origines (ethniques) et/ou leurs façons de vivre (culturelles). La société dominante blanche le vit comme une menace, pendant que les Indiens, ‘los excluidos’, depuis des siècles, le voient comme une opportunité de libération.

5.
Cela est-elle une donnée nouvelle ?
Pas du tout. Il s’agit d’un conflit vieux de cinq siècles, depuis la Conquista. Mais surtout ce qui s’est passé, il y a 50 ans, monte maintenant, — conscient mais surtout inconscient et non exprimé, — à la surface. En 1952, la Bolivie a connu une révolution agraire. Les communautés autochtones ont obtenu une plus grande voix (grâce au suffrage universel et l’enseignement); il y a eu une plus grande prise de contrôle par État sur les ressources naturelles (nationalisation des mines) et il y a eu la réforme agraire (distribution des terres aux travailleurs des haciendas). Au fond, le gouvernement actuel vise les mêmes objectifs. Inévitablement, cela se heurte à une opposition mais n’a pas à mener nécessairement à la violence. C’est précisément le grand défi d’empêcher un tel scénario mais les souvenirs du passé ne sont pas oubliés, ni les blessures guéries.

6. Est-ce que le référendum signifie une solution à ce problème ?
À vrai dire, non. Il s’agit seulement d’une épreuve de force. Le référendum apportera tout au plus un peu de poids dans la balance du côté de l’un ou de l’autre et affaiblira ou augmentera les oppositions. C’est sur la base de cette écographie que nous aurons à continuer par après.
Quel modèle de société voulons-nous ? C’est maintenant la question centrale qui doit recevoir une réponse dans … un prochain référendum. Si cela se produit. C’est à ce moment que la population se prononcera si la constitution, élaborée par « l’Asamblea Constituyente », recevra force de loi.

Mais nous ne sommes pas encore là.

Gilberto.

Friday, May 23, 2008

À la croisée des chemins ou chemin de la Croix pour la Bolivie ?

Bonjour chacun-e,

Est-ce que la Bolivie peut encore choisir son chemin ? Est-ce que chaque région prendra sa propre direction ou déboulons-nous sans freins, tous ensemble, vers un précipice ? Ici, à CEPA, c’était le sujet de conversation, hier après-midi, entre une vingtaine de personnes du personnel et quelques invités.

1. Le 4 mai dernier, la population du département de Santa Cruz approuvait, illégalement mais massivement (85 %), ses statuts pour l’autonomie. Ainsi affirme-t-on. Celui qui voulait en savoir plus, sur ce qui se passait à Santa Cruz en cette journée, via la télévision, devait regarder en même temps, trois canaux différents.
- Les canaux étrangers étaient à l’affût des actes de violence mais devaient se contenter à peine ici et là, de quelques escarmouches. Ils étaient certains que la Bolivie se trouvait au bord d’une guerre civile.
- Les canaux régionaux et antigouvernementaux voulaient montrer surtout comment le référendum se déroulait normalement et avec une grande assistance. Ils étaient surtout intéressés au résultat. Mais quelle est la valeur d’un plébiscite qui se passe sous le contrôle unique des votants du oui ?
- Le canal pro-gouvernemental avait dans la mire la fraude, le grand nombre d’abstentions (39 %), les votes pour le «non» (13 % ) et les protestations de centaines de mille de Boliviens, dans les autres grandes villes, qui manifestaient contre, ce qu’on estimait être, une action de séparation illégale. Mais on ne pouvait nier la re-confirmation de l’appel à l’autonomie.

Conclusion : chacun avait partiellement raison et donc chacun maintient son point de vue.

2. Mais maintenant, tout cela semble être une vieille rengaine. En effet, trois autres référendums régionaux sur l’autonomie se préparent (Beni, Pando et Tarija) ainsi que trois au niveau national concernant :
- l’approbation de la Nouvelle Constitution,
- combien d’hectares de terrain a-t-on droit de posséder comme propriété privée en Bolivie, 5000 ou 10000 ha ?
- et le vote de confiance envers le président, son vice-président et les préfets (gouverneurs) des neuf départements. S’il y a un nombre plus grand de votes qui les rejettent que le nombre reçu lors de leurs élections précédentes, ils seront remerciés. Cela ne semble pas être un problème pour Evo, car quoi qu’il en soit, il gagnera de nouveau lors d’une prochaine élection, mais pour la plupart des préfets ça deviendra une danse sur la corde raide. L’enjeu de ces épreuves de force permanentes est la nouvelle Bolivie ( et sa politique agraire ) que l’Assemblée Constituante a élaborée.

3. La Bolivie semble se trouver devant trois choix :
- Ou on opte pour un dialogue et un grand accord social, dans lequel chaque parti cède une part de ses acquis,
- Ou on en arrive à une confrontation, pouvant être violente à différents degrés.
- Ou bien, la Bolivie se désintègre sans coup férir et chaque partie va son propre chemin.
Il se pourrait aussi que nous en arrivions à une combinaison des trois : des confrontations limitées qui mèneront à des pourparlers où, pour limiter le pire, on reconnaîtra un certain degré d’autonomie. La question est de savoir quel modèle social prendra le dessus ? Le résultat sera-t-il seulement quelques adaptations à la Constitution existante ou sauvera-t-on, en grande partie, la nouvelle Constitution ( sur la base des droits fondamentaux et le respect des particularités culturelles) ?

4. Nombreux seront les facteurs et conditions qui joueront un rôle, comme par exemple :
- Le processus actuel pour des changements est irréversible. La participation des groupes majoritaires autochtones, jadis exclus, ne peut plus être ignorée.
- Pour le moment, il n’existe pas d’alternative pour le président Evo Morales. Actuellement, au temps de grandes hausses de prix des produits et services de base, compensées seulement en partie par l’augmentation des revenus, lui seul peut assurer une relative paix sociale,
- La dépendance des influences externes demeure grande, non seulement de l’économie et de la politique mondiale, mais aussi des caprices de la nature et des changements climatiques.
- Il ne s’agit pas uniquement d’une économie de bien-être, mais aussi de reconnaissance, d’estime et d’identité : devenir «quelqu’un» dans la société. À cette fin on est prêt à plusieurs sacrifices sur le plan économique.
- Le gouvernement d’Evo Morales a ses limites et a fait des erreurs. On a été trop dépendant des fonctionnaires à rebrousse-poil et on a eu à insérer trop de monde sans formation ni expérience. N’aurait-on pas dû commencer par forcer des changements pour ensuite les inscrire dans une Constitution ? N’a-t-on pas trop laissé aux mains de l’opposition, l’appel légitime à l’autonomie, pour lequel on a une propre réponse ?
- Le mécontentement parmi la classe moyenne s’agrandit.
- Dans les groupes populaires autochtones il se vit — plutôt d’une façon inconsciente — la certitude de contrôler le pays. Comme un seul homme on se range derrière Evo. S’il veut que demain les chemins soient parsemés de millions de pierres, ils le seront. Ce sont eux qui seront le moins touché par de possibles conséquences.

5. Entre-temps, le travail continue à CEPA, indépendamment mais concerné par le processus actuel de changement.
- À la «11e Feria de la Biodiversidad» sur la plaza d’Oruro, participaient plus de 20 instituts ruraux d’enseignement. Tout se déroula sous le signe de l’Année Internationale de la Pomme de terre.
- La faculté d’agronomie de l’université d’Oruro, décernait à CEPA une «décoration pour services rendus» proposée par la «Division de Développement rural durable», récemment crée. Ainsi nous récoltons ce que Marcos Van Rijckeghem, comme oblat –agronome, a labouré, engraissé et semé pendant tant d’années.
- Cette semaine nous avons envoyé 14 étudiants de fin d’études en anthropologie pour un travail de recherche et de promotion, durant quelques semaines, dans les Casas de Cultura de 7 villages andins (Aymara, Quechua, Uru).
- Enfin, après une longue bataille, un audit environnemental se met en marche concernant la mine aurifère Inti Raymi. L’Université de la Paz (UMSA) a été nommée comme «fiscal» mais les communautés rurales (organisées dans CORIDUP) veilleront au grain.

On ne peut certainement pas dire que la Bolivie manque de dynamisme.…

Gilberto Pauwels

OruroBolivia.

Monday, May 5, 2008

Vivre dans la diversité.


La diversité est une richesse, c’est ce qu’on affirme souvent actuellement. C’est même un des principes de base de notre CEPA (Centro de Ecología y Pueblos Andinos), tant en ce qui concerne la diversité culturelle que la bio-diversité. Mais vivre tous les jours ensemble dans la diversité ne semble pas si facile

1. La journée tant attendue (ou crainte) est proche : le 4 mai. Dimanche prochain se tiendra un référendum dans le département de Santa Cruz où on soumettra à la population pour approbation, les statuts pour l’autonomie. Ce référendum a été déclaré illégal par le gouvernement central d’Evo Morales car son organisation ne s’est pas déroulée en accord avec la constitution. Surtout deux dangers menacent cet événement : 1. que dans les faits, la Bolivie éclate; 2. que cela s’accompagne par d’explosions de violence.

2. Tous approuvent que la gouvernance du pays soit décentralisée. Plusieurs formes d’autonomie sont en préparation : autonomie régionale, départementale, ethno-culturelle et municipale. Le point de litige se trouve dans le fait que cela ne peut se faire de cette manière et encore moins sous la direction de ces gens (l’oligarchie de Santa Cruz). Ainsi, une large couche populaire à Santa Cruz s’oppose à ce référendum et dit ne pas vouloir participer. Le conflit existe non seulement avec l’altiplano occidental, mais aussi avec Santa Cruz. Ces jours-ci, dans tout le pays, de nombreuses manifestations sont annoncées pour l’unité et la paix dans le pays. Beaucoup sont en accord avec plus d’autonomie mais personne ne veut l’éclatement de la Bolivie.

3. Déjà, avec l’organisation de ce référendum autonomiste on a obtenu que le référendum national, pour l’approbation de la nouvelle constitution, soit reporté à plus tard. Après le 4 mai, on espère pouvoir utiliser le résultat du référendum de Santa Cruz pour envoyer le projet du référendum national à la poubelle et ainsi annuler une des plus grandes attentes du gouvernement d’Evo Morales. «Il est préférable de rester au pouvoir, même si c’est seulement dans l’Est du pays, que de laisser naître une nouvelle Bolivie. » C’est ce que la minorité riche et blanche de Santa Cruz a choisi, appuyé la-dedans par des intérêts étrangers.

4. Normalement dimanche prochain, tout devrait se dérouler dans le calme. Des organisations internationales ne veulent pas donner un caractère légal à ce référendum en envoyant des observateurs. Le gouvernement a demandé aux organisations populaires de ne pas envoyer de gens à Santa Cruz. Il y a des foyers de résistance pro gouvernement (San Julián, Yapacani, Plan 3000). Si on en arrive à des actes de violence ils trouveront probablement leurs origines dans les groupes radicaux des minorités (le néo-nazisme à Santa Cruz), les bandes de criminels ou dans l’instigation par des masse-médias (TV, radio). Quoi qu’il en soit, dimanche et lundi prochain, la Bolivie fera parler d’elle dans les nouvelles mondiales.

5. Au fond, il s’agit de vivre ensemble entre les diverses cultures sur la base de valeurs égales. Des différences peuvent être accentuées ou dissimulées. Cela m’a frappé, il y a quelques semaines, pendant un symposium avec quelques personnes d’El Alto (La Paz) et d’Oruro. Les contradictions entre le monde andin et la société «dominante» ont été étalées sur toutes les facettes, mais la différence entre les deux endroits, Oruro et El Alto, n’a simplement pas été abordée. El Alto est une ville jeune avec une population qui vient majoritairement des villages aymaras des alentours. Oruro est une ville minière ancienne, conquit peu à peu par des gens des villages des environs (Aymara et Quechua). À El Alto on utilise le discours défensif ‘anti’ (comme à Oruro il y a 10-20 ans) contre les «autres» qui vivent un peu plus loin, dans les zones situées plus basses de La Paz. Ici à Oruro, sans beaucoup de discours, mais avec un rôle prépondérant sur le plan économique et politique, on assiste à une prise discrète de pouvoir par la population autochtone. À chaque endroit, on est en train de bâtir une nouvelle identité. Les peuples andins sont à la conquête des villes.

6. C’est nouveau et c’est encourageant de voir les gens d’El Alto et d’Oruro se réunir autour d’une table pour échanger sur leurs problèmes communs. Cela a été possible grâce à Koen de Munter, qui depuis quelques années fait une recherche anthropologique à El Alto. Il a mis les résultats, en forme de livre (publié par CEPA) à la disposition des concernés et c’est sur cette base que les échanges ont commencé. Cela a été possible — et cela peut bien être mentionné, grâce au VLIR ( Conseil Flamand inter-universitaire) qui appuie des initiatives semblables. Jusqu’à date, CEPA a entretenu surtout des relations avec l’université de Gand, pour une étude sur la conscience écologique des peuples andins, pour la recherche bio-chimique, la recherche des alternatives contre la pollution par l’industrie minière et bientôt aussi pour une étude historique.

Aujourd’hui, le 1 mai, nous célébrons le 49e anniversaire de radio Pio XII, la radio oblate en Bolivie (Siglo XX, Oruro, et Cochabamba), une radio qui voulait convertir mais qui a été convertie à la lutte sociale et politique des mineurs, à la défense des droits des peuples andins comme le droit à leur propre culture, à leur terres, aux eaux et richesses naturelles sur leur territoire.

L’histoire autonomiste en Bolivie est loin d’être finie.

À bientôt, après le référendum,

Gilberto Pauwels.

Monday, April 7, 2008

Point de rupture ou point charnière ?

Bonjour tout le monde,

Soudainement aujourd’hui, dans notre jardin, un cactus s’est mis à fleurir de nouveau. Les roses aussi se mettent à bourgeonner et des pousses de rhubarbe sortent de la terre. Tout cela dans une journée d’automne où, à proprement parler, des arbres et des fleurs devraient se préparer pour leur sommeil d’hiver. Des temps bizarres en Bolivie !

1. Sur le plan politique aussi il se passe beaucoup de choses. Ce serait peine perdue de vouloir décrire la situation en quelques lignes. Les dernières semaines, j’ai participé à plusieurs réunions qui commençaient à maintes reprises par une analyse critique du processus de changement en cours. Quand je sentais le besoin d’apporter un point de vue, c’était à chaque fois pour défendre les groupes autochtones, «los indígenas» ou «originarios».

2. Dans les semaines à venir, il est évident qu’on arrivera dans le pays, d’une façon ou autre, à une épreuve de force entre deux groupes : d’un côté le gouvernement d’Evo Morales et de l’autre les groupes de pouvoirs économiques à Santa Cruz. Le gouvernement veut soumettre à la population la nouvelle constitution, récemment rédigée, pour approbation via un référendum. Cette loi permet différentes formes d’autonomie, entre autre, une sur la base des communautés culturelles. Par contre à Santa Cruz, on veut tenir un référendum régional pour approuver les statuts pour un Santa Cruz autonome, sans l’autorisation du gouvernement central. Dans les faits, ces statuts signifient une rupture avec la constitution bolivienne et mènent vers un nouveau régime d’état. Entre ces deux extrêmes, empêtrés dans un enchevêtrement de questions autour de légalité/illégalité et droit à l’autonomie, fourmillent prises de position et conflits locaux, régionaux et sectoriels.

3. Pour cette épreuve de force ou lutte de pouvoir, il y a une date limite d’établie : le 4 mai, la journée du référendum. Deviendra-t-elle un point de rupture qui mènera à une Bolivie divisée ou un moment charnière historique qui ouvrira la porte pour une nouvelle phase dans le processus de changement en marche ? D’ici un mois, beaucoup de choses peuvent se passer encore.

4. On ne pourra pas affirmer comme ça, que l’Orient sub-tropique est positionné contre la région occidentale des Andes ou qu’il s’agit de deux régions qui facilement peuvent être décollées. De nombreux groupes de gens venant des Andes et des vallées sont partis pour l’Orient et font là maintenant partie de la population. À Santa Cruz, une large part de la population, surtout dans les «barrios» de la ville ainsi que dans les communautés rurales, ne sont pas d’accord avec les plans des grands propriétaires de terrains et les patrons. Au fond, peu de personnes veulent une Bolivie déchirée. Dans un autre sens, il est vrai aussi que dans l’Est comme dans l’Ouest, pour plusieurs raisons, dont l’inflation et la hausse des prix, l’appui au gouvernement d’Evo de la part de la classe moyenne est en train de s’affaiblir.

5. Comme s’est déjà arrivé souvent ici dans des situations de crise, on fait maintenant appel à la direction de l’Église pour obtenir que les deux partis se parlent et continuent de se parler. Les évêques ne veulent pas jouer aux médiateurs, seulement faciliter le dialogue, affirment-ils. Au début, c’était l’opposition qui demandait l’intervention de l’Église. Maintenant c’est plutôt le gouvernement qui insiste à cette fin et qui a réussi à obtenir que des personnalités d’autres pays participent aux discussions. De l’autre côté, il est vrai aussi que dernièrement, les évêques ont publié un document sur la situation actuelle dans lequel ils ont visé le texte de la nouvelle constitution d’une façon un peu (trop) rebutante. Dans des circonstances semblables, pourrait-on arriver à un dialogue avec des résultats ?

6. « Il est quand même remarquable qu’eux, qui ont toujours été privilégiés, maintenant tout à coup, sursautent de peur de perdre un peu de leurs privilèges » titre l’article que j’ai devant moi.
Manifestement c’est ça l’enjeu. Vont-ils s’intégrer de bon gré dans l’actuel processus de changement imparable qui doit mener à plus d’égalité et de participation ? Ou doit-on essayer de les forcer à le faire, quoi qu’il en soit ? Sans considérations pour les conséquences ? Un chemin de retour, tel comme c’était dans le passé, il n’y en a plus.

7. Ce qui précède peut donner l’impression que nous nous occupons seulement de choses semblables. C’est vrai que l’enjeu est grand et nous suivons la situation de près.
Mais aujourd’hui, entre autre, j’ai signé un accord de collaboration entre CEPA et la faculté d’anthropologie de l’université. La semaine prochaine nous ferons la même chose avec la faculté d’agriculture. Hier, nous avons clôturé un symposium de trois jours sur la pomme de terre, avec plus de 200 participants. En effet, nous sommes dans l’Année internationale de la Pomme de terre. Samedi dernier débutait un cycle de formation à long terme pour les enseignants sur l’éducation environnementale. Nous avions prévu 40 participants. Il y a eu plus de 100 inscriptions et nous devons donc organiser pour la moitié d’entre eux un programme alternatif. La semaine dernière, CORIDUP, qui regroupe les communautés rurales, affectées par la pollution due à l’industrie minière, a réussi à mobiliser 1500 personnes pour une rencontre de protestation. Et ainsi tant d’autres choses. Si pour un petit bout de temps, il n’y a pas eu de Griffonnages des Andes, la raison n’est pas loin à chercher.

8. Mais ce à quoi je tiens le plus c’est l’accompagnement aux travaux de recherche. Aujourd’hui, je lisais le texte d’Alicia sur la conscience environnementale et celui de Tito sur les petites entreprises communautaires rurales. La semaine dernière, j’aidais quatre groupes de recherche dans leur préparation pour un projet de recherche sur les conséquences de la migration internationale, surtout vers l’Espagne, par les gens d’ici, d’Oruro. (Il y a trente ans, je faisais partie du groupe d’étude du Prof. Roosens de la Kul — Université catholique de Louvain — sur la migration vers la Belgique, et maintenant nous regardons le phénomène, cette fois, de l’autre côté.) La semaine prochaine, en tant que CEPA, nous lançons une recherche sur la migration-navette (entre communautés rurales et la ville) et invitons les étudiants en anthropologie à faire des études qui seront utiles aux «casas de cultura» dans les villages. Aussi j’ai été grandement surpris en lisant un rapport sur ce qui se vit chez les jeunes dans les 52 écoles secondaires que compte Oruro (une petite ville de quelque 200 000 habitants.) Quel avenir réserve-t-on pour eux ?

Avec un salut cordial,

Gilberto Pauwels
Oruro Bolivia.

Wednesday, February 13, 2008

Visages

Bonjour chacun(e),

10 février : fête du département d’Oruro et en même temps, cette année, Domingo de Tentaciones, premier dimanche du Carême (avec dans l’évangile, les tentations de Jésus, d’où le nom). Avec un cortège de fanfares se déroulent les dernières danses du Carnaval. À partir de la semaine prochaine, Oruro se dégrisera de ses festoiements. Concernant CEPA, notre évaluation de 2007 et le planning pour 2008 sont faits depuis longtemps. Quand je regarde la petite pile de paperasse, je pense : non, ce sont les gens qui donneront un visage à ce travail. Vu que plusieurs lecteurs des Griffonnages des Andes connaissent les gens de CEPA, parlons d’eux cette fois.

1. Angel et Isabel ont laissé les cortèges du Carnaval d’Oruro pour se rendre à Turco, leur village, dans un des sept autobus, remplis de gens de la ville, pour participer aux festivités des communautés locales, les «ayllus». Ils sont maintenant de retour et ont repris leur travail avec les légumes et les fleurs dans les serres et les champs de Chuzekery, situé derrière les collines autour de la ville. Ils ont hâte aux pluies car les pommes de terres sont en pleine floraison.
2. Marcelo Lara est un des rares anthropologues qui ne se limite pas à des descriptions, jusqu’aux superlatives, des splendeurs et fastes du Carnaval d’Oruro. Il se demande pourquoi les gens de la ville, les jours du Carnaval, empruntent des peuples andins leur musique et couleurs, mythes et rythmes, pour ensuite montrer si peu de respect et d’attention pour eux ? Pour lui la solution serait la création, dans les villages, de ‘Casas de cultura’ comme lieux de rencontres inter-culturelles.
3. Johnny Terrezas, Quechua : pendant les jours fériés, il vient faire une mise au point de l’auto de CEPA. Il vient des gangs de rue et travaillait dans la confection, la boucherie, cordonnerie, transport, …Il n’est pas seulement le chauffeur de CEPA mais aussi, de plusieurs façons, la personne contact entre le Centre et les groupes de travail. Bientôt il subira une petite opération au coeur mais nous avons confiance qu’il s’en sortira bien.

4. Francisca Condori est originaire du groupe ethnique minoritaire de Chipaya. Elle est un exemple de serviabilité à la bibliothèque. Mais jamais je n’ai pas vu une personne se fâcher plus qu’elle, quand elle parlait de ses expériences dans son propre groupe culturel, contre la discrimination de la femme Elle est la première étudiante universitaire de la Nación Originaria Uru (Chipaya, Muratos, Iru Ito). En préparation à sa thèse en anthropologie, elle a la chance de collaborer avec une linguiste allemande qui étudie sa langue, le chipaya.
Il y a aussi Viviane Cuisa qui a commencé à étudier en anthropologie à partir de son travail à la bibliothèque de CEPA. Il ne lui manque que sa thèse : trouver la relation entre la coiffure spéciale des femmes chipayas et les variabilités d’identité.

5. La thèse n’est pas encore faite dans le cas d’Emilio Madrid. Malgré les nombreuses recherches et plusieurs publications, il n’arrive pas à présenter une thèse. Peut-être bien en 2008 ? Il vit et travaille pour CORIDUP, l’organisation qui chapeaute les communautés rurales et qui milite pour la protection de l’environnement dans quatre bassins hydrologiques autour du lac Poopó (Desaguadero, Huanuni, Poopó et Antequera) et qui demande des comptes à des compagnies minières et au gouvernement. Un anthropologue au service des organisations populaires ! Avec Angela (agronome) et Silvana (chimiste), ainsi que secondé par Cesar Padilla (coopérant de Broederlijk Delen), ils constituent le groupe de choc de CEPA.

6. Plus discret est le travail d’Oscar Roca (psychologue) et Alicia Cuiza (finissante en psychologie qui prépare une thèse sur ‘conscience écologique’). Ce sont eux qui feront en sorte, qu’en 2008, le travail de CEPA obtienne plus de visibilité à l’extérieur et plus d’efficience à l’intérieur. Tout ce qui a trait à la formation et à la publication tombera sous leur mandat. Cette année, à Oruro, Norma Mollo, journaliste aymara, représentera CEPA à la ligue nationale environnementale (LIDEMA). Don Franklin, en tant qu’administrateur, n’a pas la tâche facile et parfois ingrate d’exiger en permanence la responsabilité pour tout ce qui s’utilise en matériaux et en fonds, en gardant en mémoire, que tout ce que nous avons à notre disposition, appartient au «patrimoine des pauvres.»

7. L’accompagnement des groupes Eco-mujeres et Eco-jovenes est confié à Eva. En d’autres mots, c’est le travail de bénévolat à l’intérieur de CEPA. Germán continue à être le responsable pour motiver et guider les autorités et les écoles dans les communautés rurales et de promouvoir afin qu’il ait plus de verdure et moins d’ordures dans l’environnement. Mais le plus grand défi est pour Limbert, depuis peu finissant pédagogue, du village aymara de Corque. Il lui incombe de développer le Tambo CEPA Chuzekery, situé à l’orée de la ville, en centre de formation avec un programme permanent d’inter-culturalisme, d’éducation environnementale et de dialogue inter-religieux.

8. Par essence l’organisation de CEPA n’est pas une île mais elle est intriquée à un réseau d’organisations, où travaillent des gens qui, dans le passé ont été liés à CEPA ou au centre diocésain de pastorale sociale. Ainsi Ely Lopez, anthropologue, passée à UMAVIDA, qui de La Paz, s’occupe de la coordination de ce travail oecuménique des organisations de développement dont seulement CEPA est membre à Oruro. En même temps elle s’approfondit dans la spiritualité inter-religieuse et environnementale. Luis Alberto Aguilar, fils de mineur et anthropologue, depuis un certain temps, préfet (gouverneur) d’Oruro, qui a entraîné dans son sillage Maribel, Victor, Roberto, Tito, Milton, Fernando, …pour réaliser son plan départemental nommé « Développement avec Identité». Sandra Berdeja (enseignante - anthropologue – avocate) travaille maintenant au Ministère de la Justice et Ricardo López au Ministère des Affaires Extérieures. Ils travaillent sur des thèmes pour lesquels ils étaient enthousiastes lorsqu’ils étaient à CEPA. Mirka Aguilar veut d’abord être une bonne mère pour ses trois fillettes, après sept ans de travail intense à la direction de CETHA Socomani (un centre de formation pour jeunes adultes des communautés andines). Elle a confié la direction à Judith, qui y oeuvre déjà depuis plusieurs années comme agronome. Carol Rocha et Eliseo Quispe, les deux anthropologues, continuent à oeuvrer loyalement à Pastorale Sociale-Caritas, dans la problématique autour de «tierra y territorio» dans les communautés rurales. Il s’agit d’une contribution peu connue mais extrêmement précieuse et fondamentale au renforcement des structures communautaires traditionnelles.

Ainsi je pourrais encore continuer pour un petit bout de temps. … seulement pour dire que beaucoup de gens, déjà avant 2008, ont mis la main à la pâte …

J’y étais …et je les observe, … réconfortant et avec admiration.

Avec un salut cordial,

Gilberto Pauwels.

Tuesday, January 29, 2008

Blocs de départ et Méli-Mélo.

Amigos todos,

Il continue à pleuvoir. Ici, les « campesinos » sont contents mais ailleurs on souffre à cause des inondations.

1. Quelle est la fête qui attire le plus de gens à l’église ? Étonnamment, il se pourrait bien que ce soit la fête des Rois mages, car ce jour-là c’est le branle-bas autour de l’autel, avec des centaines de crèches, souvent avec plusieurs « niños », de toutes grandeurs et couleurs. Cela tient sans doute au fait que la fête des Rois mages est une fête espagnole importante depuis les temps anciens. D’ailleurs ici aussi, c’est une fête pour les enfants. Mais c’est aussi la période où les nouvelles autorités (jilaqata et mallku) des communautés autochtones sont ‘couronnées’, habillées avec un poncho, avec autour du cou un lasso ou fouet, et une couronne de pain autour du chapeau. Ils reçoivent la crosse, nommée le « Papa Santa Roma. » L’expérience religieuse du peuple, crûe à travers les âges, possède ses points culminants particuliers et ses propres significations.

2. Entre-temps, Evo Morales, un Aymara d’Orinoca, petit village de notre département d’Oruro, est, depuis deux ans, président du gouvernement bolivien. Le dialogue établi avec les directions locales (préfets), ne se fait pas sans heurts. En tombant et en se relevant, avec des marées hautes et marées basses, des destructions et des reconstructions, on cherche une solution pour des questions en attente : l’approbation de la nouvelle constitution, la décentralisation du pouvoir et la redistribution des revenus du gaz. L’opposition — ou en d’autres termes, la défense des intérêts des groupes, qui étaient dominants, il y a peu de temps encore — s’est déplacée des partis traditionnels vers les organismes régionaux de direction

3. Mais d’abords, fêter le Carnaval !! Aujourd’hui, au centre ville, 6000 musiciens tambourinaient et soufflaient en même temps. Nos fanfares de village en Flandre — ayant la même origine, dans un lointain passé— ne signifient rien comparées à ceci. Mais d’où viennent les mélodies des Andes ? De la nature : le murmure des ruisseaux, le tambourinage de la pluie, le fracas de la grêle, le grondement du tonnerre et le sifflement du vent, le chant des oiseaux et le coassement, le meuglement et le martèlement des sabots des animaux, le bruissement des feuilles et le frémissement des roseaux. On va dormir en pleine nature pour s’imprégner des sons et des rythmes. Cette semaine, quelques personnes de CEPA (Centre pour Écologie et Peuples Andins) sont parties avec le groupement culturel « Illawara » à leur village d’Escara pour y accomplir un rituel nocturne pour les «sirenas» (sirènes), qu’on pense qu’elles transmettent les mélodies. Un lama a été sacrifié ainsi qu’un coq « que canta ! »

4. Des gens de CORIDUP (la « coordinadora » à la défense des rivières et des lacs) avec Emilio, Angela et Silvana de CEPA, se sont dirigés à Poopó et Antequera, avec des personnes du Ministère de l’Environnement, pour une inspection concernant la pollution causée par l’exploitation minière. À Oruro aussi, ils ont tenu une réunion générale avec les représentants des communautés rurales. Ils étaient plus de 200 participants, se plaignant que les accords ne sont pas respectés. Ils donnent au gouvernement et aux compagnies un mois pour régler le problème avant de passer à la mobilisation pour des manifestations et blocages de rues.

5. Comme à chaque année, mardi passé, vingt autorités de Choquecota sont venues nous rendre visite à CEPA : les « jiliqatas » (toujours en couple, homme et femme), les conseillères municipales (toutes des femmes dans ce village !), et le directeur de l’école. Il y a eu une révision de l’année et on s’est mis à faire des plans pour une collaboration en 2008. Ils veulent surtout faire des plantations, avoir des cours de formation et apprendre sur la biodiversité de leur région (à l’occasion de l’Année Internationale de la Pomme de terre.) Germán de CEPA recevait les visiteurs, mais l’an prochain … c’est lui-même qui viendra nous visiter, car lui et sa femme, seront, à leur tour, pour une année entière, à la tête de leur «ayllu», en tant que « jiliqata » et « mama t’alla.» Comme parents et pasteurs de leur communauté, ils porteront la responsabilité rituelle, culturelle et sociale du bien-être de leur «enfants.»

6. Si on approuve la nouvelle constitution, non pas trois mais quatre « pouvoirs » auront la main haute en Bolivie : le pouvoir législatif, le pouvoir juridique, le pouvoir exécutif et aussi le pouvoir électoral. Jeudi passé, j’ai été invité par la cour électorale à assister à l’ouverture de leur année de travail et recevoir en même temps, une médaille pour services rendus à la démocratie et aux droits civils. Je m’attendais à une reconnaissance historique pour notre action, il y a 25 ans, contre les dictatures militaires, en faveur des dirigeants et des mouvements qui exigeaient la démocratie. Mais non, il s’agissait bien du travail de CEPA : pour la défense démocratique de la biodiversité et les ressources naturelles du département d’Oruro. Le mouvement pour l’environnement gagne en reconnaissance et appréciation.

Je viens d’arriver de Chuzekery, comme chaque samedi après-midi, où je suis allé chercher quelques légumes écologiques de notre récolte. Une bonne partie a été vendue par Don Angel et Isabel, à mi-chemin, au Puente Español.

Avec des saluts amicaux,

Gilberto Pauwels

Monday, January 7, 2008

2008 : Consultations populaires.

L’année 2008 a débuté. Normalement elle deviendra l’année où le peuple parlera. On demandera à la population de prendre des décisions importantes sur plusieurs questions.

1. Le référendum pour l’approbation ou le rejet de la nouvelle constitution est d’une importance capitale. Une partie de l’opposition (PODEMOS, MNR) s’attaque à la légitimité et à la légalité de la loi, à cause de la façon dont elle a été produite, une fois qu’elle eut quitté l’Assemblée Constituante comme minorité. Surtout l’Ouest, (Altiplano) choisira l’approbation tandis que les départements de l’Orient subtropical opteront de présenter à leurs populations leurs statuts d’autonomie. Juste avant que les fêtes de fin d’année imposent une trêve, il y a eu une épreuve de force massive, bien que séparée par la distance, de deux manifestations populaires, l’une à la Paz et l’autre à Santa Cruz. Les assistances étaient massives, mais les prétendus actes de violence inévitables, n’ont pas eu lieu. Le gouvernement, prudent mais de main ferme, a maintenu le contrôle interne sur la confrontation et conservé l’appui des organisations internationales.

2. L’Assemblée Constituante n’est pas venue d’accord sur un point et la question sera donc soumise à la population par référendum. Peut-on posséder dans le pays une propriété foncière privée de 5000 ha jusqu’à 10000 ha de terre ? Sans doute, l’intention est d’en arriver à une déclaration populaire dans le but de mettre un frein aux grands propriétaires terriens (revenus sur place dans l’Orient après à l’Ouest ils furent muselés par la réforme agraire de 1952.)

3. Et il y a un autre référendum, celui proposé par le président Evo Morales lui-même, dans lequel le peuple décidera s’il envoie chez eux le président, le vice-président et les neuf préfets des départements. Ce sera le cas si le nombre de votes pour demander leur destitution est plus grand que le nombre de votes avec lequel ils ont été élus lors de la dernière élection. La plupart des préfets ne sont pas tellement ravis de ce genre d’évaluation. Probablement qu’on arrivera plutôt à des élections générales selon les normes de la nouvelle Constitution une fois approuvée.

4. Il y a un consensus général qu’il devrait y avoir plus d’autonomie en Bolivie pour les différentes régions et groupes. La question est de savoir de quelle façon, pour quels secteurs et avec quels pouvoirs établir ces autonomies? En plus de l’autonomie départementale et régionale, il y a aussi à prévoir une certaine forme d’autonomie pour les villes et les villages ainsi que pour des groupes ethniques (‘naciones’, pueblos originarios). Il y a là matière à des discussions et des mesures de pression à l’infini, avec des quantités d’exigences basées, d’un côté sur le droit à sa propre spécificité et de l’autre sur la nécessité de maintenir une solidarité mutuelle.

5. Pour 2008, en tant que CEPA (Centre pour l’Écologie et Peuples Andins), nous avons comme tâche, celle de collaborer à la thématique et aux consultations de ce processus de conscientisation. À cette fin, nous favorisons l’appel à une cohabitation pacifique interculturelle et la gestion rationnelle des richesses naturelles. C’est d’ailleurs dans la ligne des objectifs auxquels, jusqu’à date, nous avons toujours tendu. Le processus d’émancipation des peuples andins et d’une trentaine de petits groupes ethniques de l’Orient, est un événement positif auquel nombre d’organisations, même cléricales, ont contribué. Cependant la direction de l’Église suit avec un peu de méfiance et même avec crainte, ce processus imparable. Inévitablement elle en payera le prix en influence et en importance. Il n’est plus nécessaire de parler au nom des sans-voix, ceux-ci parlent maintenant pour eux-mêmes.
Le message des anges aux bergers (pastores) dans le récit de la Nativité : « N’ayez pas peur » est maintenant un message actuel - les (pastores) pasteurs inclus.

L’année 2008 aura sûrement pour chacun de nous quelques surprises dans « sa besace ». J’en souhaite pour chacun(e) des belles, des bonnes et des chouettes.

Gilberto Pauwels

Friday, January 4, 2008

CEPA: douze ans.

Amigas nuestras,

Hier nous avons célébré le douzième anniversaire de CEPA. (Centre pour l’Écologie et Peuples Andins.) Au même moment, à quelques kilomètres d’ici, se réunissait l’Assemblée Constituante. Leur réunion continuait bien après notre petite fête. Ce matin, après 16 heures de débats et quelques rectifications et ajouts, on a approuvé tous les articles de la nouvelle Constitution.

1. Cela ne veut pas dire que le processus est terminé. Le texte, qui compte plus de 400 articles, sera bientôt proposé à la population pour approbation par référendum. Pour cette dernière réunion de l’Assemblée Constituante, qui finalement a eu lieu à Oruro, 166 membres des 255 étaient présents. Deux fractions de grandeur moyenne se sont dérobées (PODEMOS et MNR), tandis que le parti majoritaire — le MAS du président Evo Morales — avec 9 petits groupes politiques, obtenaient le nombre de votes nécessaires. Il y avait des représentants de tous les départements. La question maintenant est de savoir comment l’opposition, sous la direction de Santa Cruz, va réagir à ce résultat ainsi que Sucre.

2. Au tout dernier moment, quand tout était déjà terminé, deux changements ont encore été apportés. La Paz et Sucre sont arrivés à un accord mutuel pour mentionner formellement dans la Constitution que Sucre est la capitale du pays, sans vouloir dire que les pouvoirs de La Paz devraient être transférés à Sucre. Cela pourrait tempérer les protestations à Sucre.
Le deuxième changement est un point ajouté aux crimes déclarés comme haute trahison envers l’état : celui qui met en danger l’unité du pays sera condamné, en tant que traître, aux peines les plus lourdes. Le but est d’arrêter les mouvements séparatistes de l’Orient.

3. Au fond, il restait deux possibilités au parti MAS :
- Essayer de faire approuver une Constitution par une Assemblée complète et dans ce but, être prêt à faire des concessions considérables au projet initial. L’idée principale sous-entendue était que cette approbation n’était pas un point final,mais le début d’un processus dans lequel, par des changements partiels consécutifs, on arrive, comme prévu, à la restructuration du pays. L’opposition n’a pas saisi l‘occasion de travailler à la modification du texte et a joué le tout ou rien, en pensant pouvoir faire échouer l’Assemblée.
- Finalement c’est la deuxième possibilité qui s’est réalisée. Le MAS a fait toutes les concessions possibles aux petits groupes politiques pour obtenir le nombre suffisant de votes pour approuver la Constitution sans la présence de l’opposition. On a essayé tout ce qui était possible pour assurer la légalité du processus, mais on a dû avoir recours à quelques solutions d’urgence. Pour l’approbation «grosso modo » à Sucre, à cause des protestations populaires, on n’a pas eu le temps de faire la lecture complète du texte (comme prévu dans la loi.) Et l’approbation « en détail » n’a même pas eu lieu à Sucre mais à Oruro, sous la protection, non seulement de l’armée et de la police, mais aussi des mineurs, campesinos et autres organismes sociaux. Maintenant on peut s’attendre pendant les prochains jours que le débat se fasse autour de la question, à savoir si le tout s’est fait d’une façon légale et légitime et si on veut en venir à un référendum.

4. Entre-temps le président Morales a déposé un projet de loi dans lequel lui-même, le vice-président ainsi que les gouverneurs (prefectos) des neuf départements, se soumettent à un référendum de confiance. Le peuple a l’opportunité de les renvoyer chez eux. De cette façon Evo veut prouver qu’il est démocrate et en même temps pourra se débarrasser de quelques dirigeants régionaux récalcitrants. Mais peut-être n’en arriveront-ils pas là, car si on peut conclure assez vite pour réaliser le plébiscite sur la Constitution et qu’elle soit approuvée, on devra, dans un bref délai, décréter de nouvelles élections générales sur la base de la législation nouvelle.

5. Hier soir, pendant qu’il se prenait des décisions importantes pour la nouvelle Bolivie, (déjà) nous étions en fête à CEPA. Il y a douze ans, nous rêvions à ce qu’il s’opère en Bolivie des changements fondamentaux où, les peuples andins et leur vision, joueraient un rôle important concernant leurs richesses naturelles. À ce moment-là, nous n’avions jamais pensé que cela pourrait se réaliser aussi vite.

6. Nous étions réunis avec une soixantaine de personnes : collaborateurs, membres de toutes sortes d’organismes et institutions avec lesquels nous collaborons. Aussi l’ex-ministre de l’industrie minière était de la partie. Don Vicente a reçu des éloges pour ses plantations d’arbres à Chuzekery et les campesinos de Challapata pour la défense de leurbassin hydroponique contre la menace de pollution. L’école secondaire d’Iruma a reçu un prix pour une étude collective sur leur village.

7. Je ne veux pas terminer sans mentionner un détail des plus remarquables. Pendant que je me trouvais à Cochabamba pour une retraite, je recevais une petite nouvelle d’Alicia : « Nous n’avons pas trouvé de prêtre pour la célébration eucharistique et nous avons décidé de remplacer la « misa » par une « mesa » (un sacrifice à la Mère Terre) sous la direction du prêtre cosmique, Eliseo (anthropologue aymara.)» Et ce fut ainsi. Parmi les plus grands changements religieux récents, il se trouve que les rites clandestins (car persécutés) d’autrefois des peuples andins, sont maintenant de l’ordre public, surtout à l’intérieur des organisations populaires. C’est devenu un fait qu’ils font maintenant appel autant au prêtre qu’au dominé ou aux «spécialistes » de leur propre milieu pour exprimer leurs sentiments religieux. Des situations semblables ont toujours été monnaie courante dans l’histoire des églises. Mais je crains que cette complémentarité (culturelle et cultuelle) dans l’exercice des fonctions va continuer à causer des maux de tête à la direction cléricale. On a déjà eu et on a encore actuellement trop de difficultés avec la théologie de la libération, axée sur des changements politiques et sociaux.

Déjà en avance, je souhaite à toutes et à tous une profonde ascension vers la fête de Noël et le Nouvel An. Est bien qui finit bien. Un début qui recommence.

Gilberto Pauwels – Oruro.