Monday, April 7, 2008

Point de rupture ou point charnière ?

Bonjour tout le monde,

Soudainement aujourd’hui, dans notre jardin, un cactus s’est mis à fleurir de nouveau. Les roses aussi se mettent à bourgeonner et des pousses de rhubarbe sortent de la terre. Tout cela dans une journée d’automne où, à proprement parler, des arbres et des fleurs devraient se préparer pour leur sommeil d’hiver. Des temps bizarres en Bolivie !

1. Sur le plan politique aussi il se passe beaucoup de choses. Ce serait peine perdue de vouloir décrire la situation en quelques lignes. Les dernières semaines, j’ai participé à plusieurs réunions qui commençaient à maintes reprises par une analyse critique du processus de changement en cours. Quand je sentais le besoin d’apporter un point de vue, c’était à chaque fois pour défendre les groupes autochtones, «los indígenas» ou «originarios».

2. Dans les semaines à venir, il est évident qu’on arrivera dans le pays, d’une façon ou autre, à une épreuve de force entre deux groupes : d’un côté le gouvernement d’Evo Morales et de l’autre les groupes de pouvoirs économiques à Santa Cruz. Le gouvernement veut soumettre à la population la nouvelle constitution, récemment rédigée, pour approbation via un référendum. Cette loi permet différentes formes d’autonomie, entre autre, une sur la base des communautés culturelles. Par contre à Santa Cruz, on veut tenir un référendum régional pour approuver les statuts pour un Santa Cruz autonome, sans l’autorisation du gouvernement central. Dans les faits, ces statuts signifient une rupture avec la constitution bolivienne et mènent vers un nouveau régime d’état. Entre ces deux extrêmes, empêtrés dans un enchevêtrement de questions autour de légalité/illégalité et droit à l’autonomie, fourmillent prises de position et conflits locaux, régionaux et sectoriels.

3. Pour cette épreuve de force ou lutte de pouvoir, il y a une date limite d’établie : le 4 mai, la journée du référendum. Deviendra-t-elle un point de rupture qui mènera à une Bolivie divisée ou un moment charnière historique qui ouvrira la porte pour une nouvelle phase dans le processus de changement en marche ? D’ici un mois, beaucoup de choses peuvent se passer encore.

4. On ne pourra pas affirmer comme ça, que l’Orient sub-tropique est positionné contre la région occidentale des Andes ou qu’il s’agit de deux régions qui facilement peuvent être décollées. De nombreux groupes de gens venant des Andes et des vallées sont partis pour l’Orient et font là maintenant partie de la population. À Santa Cruz, une large part de la population, surtout dans les «barrios» de la ville ainsi que dans les communautés rurales, ne sont pas d’accord avec les plans des grands propriétaires de terrains et les patrons. Au fond, peu de personnes veulent une Bolivie déchirée. Dans un autre sens, il est vrai aussi que dans l’Est comme dans l’Ouest, pour plusieurs raisons, dont l’inflation et la hausse des prix, l’appui au gouvernement d’Evo de la part de la classe moyenne est en train de s’affaiblir.

5. Comme s’est déjà arrivé souvent ici dans des situations de crise, on fait maintenant appel à la direction de l’Église pour obtenir que les deux partis se parlent et continuent de se parler. Les évêques ne veulent pas jouer aux médiateurs, seulement faciliter le dialogue, affirment-ils. Au début, c’était l’opposition qui demandait l’intervention de l’Église. Maintenant c’est plutôt le gouvernement qui insiste à cette fin et qui a réussi à obtenir que des personnalités d’autres pays participent aux discussions. De l’autre côté, il est vrai aussi que dernièrement, les évêques ont publié un document sur la situation actuelle dans lequel ils ont visé le texte de la nouvelle constitution d’une façon un peu (trop) rebutante. Dans des circonstances semblables, pourrait-on arriver à un dialogue avec des résultats ?

6. « Il est quand même remarquable qu’eux, qui ont toujours été privilégiés, maintenant tout à coup, sursautent de peur de perdre un peu de leurs privilèges » titre l’article que j’ai devant moi.
Manifestement c’est ça l’enjeu. Vont-ils s’intégrer de bon gré dans l’actuel processus de changement imparable qui doit mener à plus d’égalité et de participation ? Ou doit-on essayer de les forcer à le faire, quoi qu’il en soit ? Sans considérations pour les conséquences ? Un chemin de retour, tel comme c’était dans le passé, il n’y en a plus.

7. Ce qui précède peut donner l’impression que nous nous occupons seulement de choses semblables. C’est vrai que l’enjeu est grand et nous suivons la situation de près.
Mais aujourd’hui, entre autre, j’ai signé un accord de collaboration entre CEPA et la faculté d’anthropologie de l’université. La semaine prochaine nous ferons la même chose avec la faculté d’agriculture. Hier, nous avons clôturé un symposium de trois jours sur la pomme de terre, avec plus de 200 participants. En effet, nous sommes dans l’Année internationale de la Pomme de terre. Samedi dernier débutait un cycle de formation à long terme pour les enseignants sur l’éducation environnementale. Nous avions prévu 40 participants. Il y a eu plus de 100 inscriptions et nous devons donc organiser pour la moitié d’entre eux un programme alternatif. La semaine dernière, CORIDUP, qui regroupe les communautés rurales, affectées par la pollution due à l’industrie minière, a réussi à mobiliser 1500 personnes pour une rencontre de protestation. Et ainsi tant d’autres choses. Si pour un petit bout de temps, il n’y a pas eu de Griffonnages des Andes, la raison n’est pas loin à chercher.

8. Mais ce à quoi je tiens le plus c’est l’accompagnement aux travaux de recherche. Aujourd’hui, je lisais le texte d’Alicia sur la conscience environnementale et celui de Tito sur les petites entreprises communautaires rurales. La semaine dernière, j’aidais quatre groupes de recherche dans leur préparation pour un projet de recherche sur les conséquences de la migration internationale, surtout vers l’Espagne, par les gens d’ici, d’Oruro. (Il y a trente ans, je faisais partie du groupe d’étude du Prof. Roosens de la Kul — Université catholique de Louvain — sur la migration vers la Belgique, et maintenant nous regardons le phénomène, cette fois, de l’autre côté.) La semaine prochaine, en tant que CEPA, nous lançons une recherche sur la migration-navette (entre communautés rurales et la ville) et invitons les étudiants en anthropologie à faire des études qui seront utiles aux «casas de cultura» dans les villages. Aussi j’ai été grandement surpris en lisant un rapport sur ce qui se vit chez les jeunes dans les 52 écoles secondaires que compte Oruro (une petite ville de quelque 200 000 habitants.) Quel avenir réserve-t-on pour eux ?

Avec un salut cordial,

Gilberto Pauwels
Oruro Bolivia.