Thursday, August 28, 2008

Forger à la bolivienne.

Bonjour tout le monde,

« Nous devons battre le fer quand il est chaud » aurait confié le président Evo à ses proches collaborateurs. Lors du référendum révocatoire, Evo Morales a obtenu l’appui de plus des deux tiers de la population. On veut donc le plus vite possible soumettre à la population la nouvelle Constitution pour approbation.

1. Le résultat du référendum était beaucoup plus positif pour le gouvernement que laissaient entendre les chiffres qui ont été envoyés dans le monde le soir du référendum. À mesure qu’au niveau national les résultats des régions rurales rentraient, le pourcentage des votes en faveur du président et son vice-président, grimpait de 61 % à plus de 67 %, pendant que baissait celui des préfets qui n’appartiennent pas au parti gouvernemental. À Santa Cruz, le pourcentage du préfet Costas baissait à 59 % pendant que le vote pour le « oui », en faveur du président dans ce même département augmentait à 40 %, un score jamais obtenu auparavant.

2. Les préfets de La Paz et Cochabamba, deux départements qui, avec Santa Cruz, forment l’axe de développement du pays, ont été destitués par la population. Il y aura donc de nouvelles élections et la possibilité est grande que le parti MAS d’Evo prendra possession de la direction locale dans ces deux départements. Les autres préfets ont été confirmés dans leurs fonctions; seulement celui de Potosi (du MAS), dépassait — comme Evo — la majorité des deux tiers. ( 79 % )

3. La situation du préfet d’Oruro est encore incertaine. Alberto Luis Aguilar (MAS) obtenait à peine un peu plus de 50% des voix, pendant qu’Evo a eu à Oruro (comme à El Alto) 83 %. On est encore en pleine discussion au sujet de l’interprétation des normes pour décider s’il reste en fonction ou non.
Que s’est-il passé ?
- Comme partout, le MAS a obtenu beaucoup plus d’appuis dans les campagnes que dans les villes. La plupart des médias menaient dès le début une campagne systématique contre le gouvernement, aussi à Oruro, surtout contre la direction locale. Les citadins n’acceptent pas qu’à la préfecture — le centre traditionnel du pouvoir — circulent beaucoup de gens en ‘poncho’ et ‘pollera’.
- Le préfet a fait un choix radical en faveur de la population autochtone et leurs organisations. Même à ce point qu’il initiait non seulement des projets pour le campo, mais qu’il laissait l’exécution de la gestion du développement aux gens des communautés rurales. Il s’agit en général de jeunes diplômés, avec peu d’expérience, avec comme conséquence que les résultats n’étaient pas toujours présents. ( Quand je leur demandais comment ça allait à leur travail, ils me répondaient souvent : « Nous apprenons beaucoup»).
- Alberto Luis Aguilar est philosophe et anthropologue de formation, avec des visons théoriques qui ne sont pas acceptées par les citadins et parfois incomprises par la population rurale. La façon de faire politiquement et techniquement laissait à désirer.
- Les conflits sociaux avec plusieurs décès ont été mis sur son compte. (Pourtant, après le conflit avec les mineurs de Huanuni à Caihuasi, où il y a eu deux morts, cela à peine quelques jours avant le référendum, autant les mineurs que les campesinos ont puni leurs dirigeants pour avoir provoqué un conflit violent d’une façon irresponsable. Mais une telle nouvelle n’apparaît plus dans la presse mondiale).
- Dans le parti MAS local existent deux tendances, qui dans leur forme la plus radicale, n’ont même pas appuyé le préfet. Une tendance veut que le parti devienne plus socialiste et l’autre veut un parti plus indigène. Si on en vient à de nouvelles élections pour un nouveau préfet, le MAS sortira victorieux à condition qu’il n’y ait pas de scissions. Les deux tendances ont leurs candidats mais il n’est pas encore clair de quelle tendance il sera. Seul Evo peut prendre pareille décision.
- La question est de savoir si cette tension interne, cette opposition entre socialisme et indigénisme, qui se manifeste maintenant à Oruro, à la longue, ne deviendra pas plus aiguë dans tout le parti. Pour le moment Evo — un dirigeant syndical des ‘cocaleros’ (cultivateurs de coca) de Cochabamba et d’origine indienne Aymara (Oruro) — est le leader incontestable, qui maintient tout et chacun ensemble. Par contre Luis Alberto, fils de mineurs de ‘Norte Potosi’, s’est approché du monde andin via ses études et son travail social dans le cadre de l’Église.

4. Hier, les organisations sociales se réunissaient à Cochabamba avec le gouvernement. Coûte que coûte et le plus vite possible on veut en arriver à un référendum pour la Constitution, s’il le faut avec un décret. On veut aussi en appeler à des élections pour des conseillers départementaux et des sous-préfets (et ainsi, au moyen des provinces rurales, tenir les préfets sous contrôle). En plus, on veut répartir d’une façon plus large, les revenus de la vente du gaz (aux municipalités et populations autochtones) et ne pas restituer les sommes d’argent exigées par les préfets.
De l’autre côté, l’opposition annonce, à partir de demain, nombre d’actions radicales contre le gouvernement via les organisations régionales ....

Il y a quelques jours, nous étions réunis, une autre fois, avec une vingtaine de personnes de CEPA (Centro por Ecología y Pueblos Andinos) pour échanger sur les derniers événements, sous la direction de Felipe Coronado (de l’université) et David Lazo ( Radio Pio XII ). Entre-temps, le travail planifié par rapport à l’environnement et la société inter-culturelle se poursuit. Un peu plus là-dessus la prochaine fois.

Bon gré mal gré, tous nos faits et gestes font partie des travaux pour forger la nouvelle Bolivie. Le fer est chauffé à blanc, de tous les côtés il y a des coups, même des coups de masse. Espérons que le moins possible de gens y laisseront leur peau.

Avec des salutations cordiales,

Gilberto Pauwels,
Oruro Bolivia.

Tuesday, August 12, 2008

Danse Funambulesque.

Amigas/os todas/os,

Samedi-soir. C’est demain que ça se joue. Dans toute la Bolivie, on tiendra une sorte de référendum de confiance dans lequel autant le président Evo Morales, son vice-président ainsi que huit des neuf préfets, à la tête d’un département, laisseront le peuple évaluer leur gestion. Il y a des têtes qui tomberont. Le président aussi sera funambule, mais plutôt sur un câble solide et bien tendu, pendant que la plupart des préfets le feront sur une corde lâche, même ceux du parti MAS.

1. D’où sort ce référendum ?
C’est le président Evo lui-même, qui l’a demandé, il y a quelques mois, quand il voulait prouver, à l’égard de quelques préfets, qu’il pouvait compter sur un fort appui populaire. La résolution fut légalement approuvée par le parti MAS (chambre des représentants) mais fut bloquée dans le sénat (opposition PODEMOS). À un moment donné, ces derniers ont voulu piéger Evo en approuvant le projet d’une façon inattendue. Le fait que beaucoup de membres de l’opposition, par la suite, aient quand même voulu empêcher la tenue du référendum, laisse entrevoir qu’ Evo pourrait réussir son pari et sortir renforcé de ce combat. Combien de chefs d’États, dans le monde entier, pourraient se permettre de proposer leur démission, si 53 % de la population le demande (pourcentage avec lequel Morales avait gagné l’élection) ?

2. Pourquoi alors les troubles sociaux récents ?
Il y a quelques jours, lors d’une intervention policière dans le but d’ouvrir un chemin bloqué, il y a eu deux morts et plusieurs blessés. Pour appuyer leur revendication pour une nouvelle loi de pensions, les mineurs de Huanuni avaient organisé un blocage de la route entre Oruro et Cochabamba et menaçaient de faire sauter un pont avec de la dynamite. La police est intervenue. De quelle façon les victimes sont mortes — chose que le gouvernement voulait éviter à tout prix, — ne sera probablement jamais clarifiée.
D’autres organisations ainsi que les enseignants ont mené nombre d’actions avec la même revendication. Des handicapés exigeaient une allocation annuelle (semblable à celle que les écoliers et les personnes âgées ont reçue). Des organisations régionales exigeaient un pourcentage plus haut des revenus du gaz et du pétrole …
Cela semble être une caractéristique particulière de la politique bolivienne ( … plus ouverte qu’ailleurs), quand le gouvernement a besoin de tranquillité et de votes, au moment des élections, des groupes sociaux profitent de ce ‘moment de vulnérabilité’ pour mettre de l’avant leurs exigences. À ce moment, on perd de vue les conséquences à plus long terme ainsi que la question à savoir s’il n’y a pas de meilleures alternatives.

3.
Au fond, de quoi s’agit-il ?
La question à savoir si la Bolivie doit continuer à se décentraliser ne se pose pas. Tout le monde en est d’accord. Il s’agit de décider quelle forme d’autonomie les différentes régions peuvent recevoir. Deviendra-t-elle une structure d’autonomie à quatre paliers, telle que prévue dans la nouvelle constitution (départementale, régionale, ethno-culturelle et communale) ? Ou une autonomie (néo-libérale) départementale extrême (fédéralisation) extorquée par la partie orientale du pays ?

4.
S’agit-il seulement d’une opposition entre l’Orient (tropique) et l’Occident (altiplano)?
Loin de là. Dans tous les départements, l’opposition des villes versus les régions rurales ou les faubourgs marginaux a monté d’un cran. Des gens ou des groupes se sont opposés sur la base de leurs origines (ethniques) et/ou leurs façons de vivre (culturelles). La société dominante blanche le vit comme une menace, pendant que les Indiens, ‘los excluidos’, depuis des siècles, le voient comme une opportunité de libération.

5.
Cela est-elle une donnée nouvelle ?
Pas du tout. Il s’agit d’un conflit vieux de cinq siècles, depuis la Conquista. Mais surtout ce qui s’est passé, il y a 50 ans, monte maintenant, — conscient mais surtout inconscient et non exprimé, — à la surface. En 1952, la Bolivie a connu une révolution agraire. Les communautés autochtones ont obtenu une plus grande voix (grâce au suffrage universel et l’enseignement); il y a eu une plus grande prise de contrôle par État sur les ressources naturelles (nationalisation des mines) et il y a eu la réforme agraire (distribution des terres aux travailleurs des haciendas). Au fond, le gouvernement actuel vise les mêmes objectifs. Inévitablement, cela se heurte à une opposition mais n’a pas à mener nécessairement à la violence. C’est précisément le grand défi d’empêcher un tel scénario mais les souvenirs du passé ne sont pas oubliés, ni les blessures guéries.

6. Est-ce que le référendum signifie une solution à ce problème ?
À vrai dire, non. Il s’agit seulement d’une épreuve de force. Le référendum apportera tout au plus un peu de poids dans la balance du côté de l’un ou de l’autre et affaiblira ou augmentera les oppositions. C’est sur la base de cette écographie que nous aurons à continuer par après.
Quel modèle de société voulons-nous ? C’est maintenant la question centrale qui doit recevoir une réponse dans … un prochain référendum. Si cela se produit. C’est à ce moment que la population se prononcera si la constitution, élaborée par « l’Asamblea Constituyente », recevra force de loi.

Mais nous ne sommes pas encore là.

Gilberto.