Thursday, May 7, 2009

La douleur de la Pachamama

Amigos,

En 1997, Walter Lotens écrivait un livre ayant comme titre : « La douleur de la Pachamama ». Il y parlait du passé et du futur, des traditions des Andes et de la modernisation, ainsi que de la Mère Terre. Il décrivait des lignes de force de ce qui se passe en Bolivie actuellement, mais avec des interrogations prudentes sur les chances de succès de la révolution tranquille alors en marche. Les dernières nouvelles concernant des organisations de terreur montrent, en effet, que leurs adversaires sont capables de faire, en tout état de cause, l’inadmissible, pour empêcher ce virage. Cependant, le vrai combat se fait chaque jour dans la vie des petites gens.

  1. LUNDI. La Pachamama gémit, je l’ai vu. Toute la journée nous nous sommes promenés dans la région entre la mine d’étain de Huanuni et le lac Poopó. L’eau sale de la mine pollue le lac. Mais il y a plus. Les déchets de la mine ont rempli le lit de la rivière avec l’effet de couvrir des plaines énormes d’un sable minéral pollué et infertile. Avec plus de 500 habitants qui vivent aux alentours, quatre maires ( de Huanuni, Poopó, Machacamarca et El Choro), et des représentants de six vice-ministères, nous avons visité les endroits les plus affectés. Plus que jamais on parle de la Pachamama. Pour CORIDUP ( l’organisation de coordination de 80 communautés menacées par l’exploitation minière) et pour Limbert, Clemente, Johny, Jaime et Norma de CEPA, qui ont collaboré à organiser cette inspection massive, il est acquis : nous ne lâcherons pas tant que cette région ne sera pas déclarée zone sinistrée écologique (declaración de zona de emergencia ambiental). Basé sur cette déclaration, des propositions de mesures concrètes sont déjà élaborées pour mettre fin à cette contamination.

  2. MARDI. CEPA (Centre pour l’Écologie et peuples Andins) est envahi par des enfants. Curieux, ils regardent dans notre jardin la grande sphère terrestre malade, qui se trouvait, le Jour de la Terre, au milieu de la plaza, et sur laquelle les passants avaient pu coller plein de messages. Les enfants représentent les « patrouilles écologiques » de 14 écoles, des petits groupes de surveillance qui conscientisent leurs camarades pour un plus grand respect des plantes et des animaux et qui oeuvrent pour la propreté de leur école en incitant de jeter les déchets dans les poubelles. Ce sont les alliés de la Pachamama.

  3. MERCREDI. Une douzaine de personnes de CORIDUP partent pour La Paz, avec Clemente et Jaime de CEPA, pour faire le suivi de plusieurs questions :
    - La déclaration de « zona de emergencia ambiental » pour la région de Huanuni.
    - L’enquête qui traîne sur les conséquences de l’exploitation aurifère de la
    compagnie Inti Raymi dans le bassin de la rivière Desaguadero.
    - Le projet de loi pour proclamer le lac Poopó et Uru Uru réserve naturelle. (à l’exemple du Parc Sajama)

    - L’organisation de la deuxième réunion de travaux entre les gouvernements nationaux et régionaux , les compagnies minières et les communautés rurales concernant la pollution et la gestion des eaux.
    Ils sont revenus avec des perspectives prometteuses.

  4. JEUDI. - Marcelo, Marco et Anaïs ( une volontaire flamande) organisent avec des étudiants un forum sur la décolonisation. Il ne s’agit pas tant d’un combat contre des colonisateurs externes mais plutôt de structures de mentalité coloniale, inconscientes, en chacun de nous. Après l’abolition de l’esclavage, beaucoup d’ex-esclaves ont dû apprendre, non sans difficultés, comment vivre en hommes libres. Les « enfants de la Pachamama » (titre d’un vidéo qu’Omer D’Hoe est venu tourner ici, il y a quelques années) se trouvent maintenant devant des défis semblables.
    - Le cours de « formation politique » à CETHA Socomani pour les partenaires de Broederlijk Delen, s’achève. Une dizaine de personnes de CEPA et de proches collaborateurs y ont assisté. Non, il ne s’agissait pas d’un endoctrinement idéologique mais un exercice d’approfondissement d’analyses sur ce qui se passe et ce qui nous attend comme travail.

  5. VENDREDI. Le premier de mai. La radio des Oblats, Pio XII, à Siglo XX (Norte de Potosí) existe depuis maintenant 50 ans et cela se fête. Une radio qui, parce qu’elle a appris à écouter, a dû se convertir plus d’une fois, d’abord à une radio pour les mineurs, ensuite à une radio-campesino. La commutation à une Radio Andine (nature et culture) est en marche. La radio Pio a dû affronter des dictateurs et de la violence pour continuer à donner la parole aux organisations populaires. Les mineurs ont ouvert la voie mais finalement c’est un Aymara, Evo Morales (de Carangas – Oruro, une région où les Oblats sont actifs depuis plus de 50 ans) qui fut élu président de la Bolivie. Cette histoire a été évoquée lors de la célébration, et de fait, nous montre où se trouve actuellement la parole et le pouvoir. Il faut croire qu’un épisode vient de se terminer définitivement. Les sans-voix sont maintenant la Pachamama et les générations futures qui, quoi qu’il en soit, voudront continuer à vivre sur place avec elle.

  6. SAMEDI. Le temps des pluies est fini; la récolte des pommes de terre dans les champs de CEPA à Chuzekery nous attend. La Pachamama a été généreuse. Entre-temps on a construit des enclos où courent des lamas et des moutons.

Le président Evo Morales a obtenu avec un discours devant l’ONU, de déclarer le Jour de la Terre, le Jour International de la Mère Terre, avec tout ce que cela peut signifier en dynamique de visions, de symbolique et d’agir rituel. Il pourrait être le début d’une nouvelle période de confrontation et/ou de dialogue avec des nations autochtones, un « tinku » ( une rencontre / un combat rituel / un déplacement de frontières), sur quoi ni les « originarios » eux-mêmes, ni l’État, ni l’enseignement, ni les Églises sont préparés.
Il n’en manquera pas en créativité mais il y aura toujours à quelque part quelqu’un qui en souffrira.

Gilberto Pauwels
Oruro Bolivia.