Wednesday, April 29, 2009

Le Sud et le Nord

Amigos,

Juan Carlos Montoya part pour une tournée de trois semaines en Flandre. Il est un Aymara de Corque et agronome; il est devenu le responsable départemental des préoccupations environnementales à Oruro et est aussi le fondateur de la section de développement rural à la faculté d’agronomie de l’université locale. Comme collaborateur occasionnel de CEPA (Centre pour Écologie et peuples Andins) il a prit en charge d’informer des gens et des groupes en Flandre sur les problématiques sociales et environnementales dans les relations entre les compagnies minières polluantes et les communautés andines des villages ruraux et des périphéries menacées de la ville.

  1. La visite de Juan Carlos est la continuité de toute une série de gens d’origine indienne et/ou ouvrière qui, à partir d’Oruro, sont allés témoigner en Europe de la vie, de la bonne et mauvaise fortune et des rêves de leur peuple. Ils sont tous restés actifs dans le travail du développement (Félix, Carol, Digna, Ely, Orlando — décédé —, Mirka, Ruth); ils continuent la recherche anthropologique (Ricardo) ou s’engagent dans une fonction publique comme sénatrice (Isabel), préfet (Luis Alberto) ou vice-ministre (Isaac).

    Des expériences semblables peuvent parfois avoir des effets à long terme. Il y a quelques jours, j’ai rencontré dans la rue Félix Cárdenas. Nous avons échangé sur les nouveaux vice-ministères pour la décolonisation. Hé! oui, me disait-il, dans un intermède, quand j’étais en tournée en Flandre en 1993, sur invitation de Broederlijk Delen, j’ai pu participer à une rencontre sur le thème ‘’Stop au racisme’’. Le mois prochain nous allons organiser, à Cochabamba, une rencontre nationale autour du même slogan.

  2. Probablement, à la fin de l’année, Francisca, qui travaille à la bibliothèque de CEPA, ira avec son enfant pour quelques semaines en Allemagne. Elle est Chipaya et la première femme de ce petit groupe ethnique qui fait des études universitaires, en anthropologie en plus. Avec des linguistes de Berlin, dans le cadre d’une recherche de doctorat, elle a entrepris une étude de la langue de son ethnie et elle est maintenant invitée à aller mettre les derniers points sur les « i ». La cueillette patiente de données sur l’histoire et la culture de cette petite minorité pourrait devenir la contribution la plus tangible et durable de CEPA aux peuples andins, même si cela ne figurait pas directement dans le planning du Centre.

  3. Il se peut que le travail en développement internationale soit rendu à une phase de « prendre son temps » ou en «dé-plannification ». Peut-être comme conséquence à la critique sur la collaboration en développement, tous les accents sont allés sur le planning et sur la réalisation des objectifs à atteindre, de préférence au plus court terme possible. Nous entendons maintenant les premières critiques de cette méthode.
    « Le planning mène aux recettes, à la technocratisation, au plus offrant et à la négation du contexte local. Le contraire du planning est la liberté de pouvoir tomber et se relever, pouvoir ‘chercher’ sans suivre de recettes. On peut bien planifier un peu mais seulement comme réponse à un questionnement où le planning n’est plus un but mais un moyen. » (W.Easterly). Il semble donc qu’il ne s’agit pas de changer le planning mais de planifier le changement permanent.

  4. En attendant, la dynamique des processus sociaux en Bolivie nous force à la créativité et à la souplesse. Un exemple : depuis des années nous accompagnons, en tant qu’organisation à la défense de l’environnement et des cultures, les communautés rurales du bassin de la rivière Desaguadero, dans leur lutte contre la pollution par l’exploitation aurifère. Mais tout à coup, tout change. C’est fini, nous arrêtons, dit Inti Raymi, en septembre nous fermons les mines. (Kori Kollo et Kori Chaca). Ainsi, l’organisation des communautés menacées, (CORIDUP) nous demande de collaborer pour que le géant multinational et propriétaire, Newmont, ne s’échappe pas avant d’avoir réglé ses comptes sociaux et environnementaux. Mais serait-il vrai que tout est fini ? Ne déplaceront-ils pas simplement l’exploitation minière vers une autre compagnie avec comme résultat que tout est à recommencer ? S’agit-il d’une stratégie bien pensée dans le but de pousser la population à supplier pour qu’ils continuent et ainsi de sauver des emplois et des revenus locaux, si minime soient-ils, comparés aux gains que la compagnie fait ? Finalement, ne cèderont-ils pas, soi-disant, pour pouvoir continuer et prendre de l’expansion ? Bien sûr, dans ce cas par exemple, avec des conditions qui font que les organisations environnementales sont réduites au silence et paralysées. Une fois le processus de changement engagé, il deviendra clair pour nous comment réagir.

Devant tout cela, que devons-nous redouter le plus ? De manquer de souplesse et de créativité. Il serait grave qu’on en vienne à la conclusion que nous avons continué à donner les mêmes réponses, alors que les questions avaient été changées depuis longtemps

En attendant, le voyage de Juan Carlos est certainement une opportunité pour peaufiner nos relations internationales et habilités techniques dans la collaboration avec les universités et organisations flamandes.


Gilberto Pauwels
Oruro Bolivia

Monday, April 13, 2009

Vendredi de Pâques

La Semaine Sainte domine toujours la vie publique en Bolivie. Vendredi-Saint est un jour férié, mais dès le Jeudi-Saint on peut déjà quitter son travail un peu d’avance pour participer aux services religieux et coutumes populaires. Le jour de Pâques est déjà moins important et le lundi de Pâques la vie de tous les jours reprend.


  1. Maintenant que la nouvelle constitution a déclaré la séparation entre l’Église et l’État, les media ont surtout porté leur attention sur la façon dont les dirigeants du gouvernement et des institutions officielles participent aux services religieux. Cette année, la dépouille du Christ exécuté n’a pas été accompagnée dans les processions par les militaires armés. Et le président Evo Morales ? Pour le moment il est en grève de la faim pour inciter le parlement à approuver la loi électorale qui doit rendre possible des élections générales en décembre.
  2. Pourquoi le vendredi saint semble-t-il être plus important que Pâques pour les gens et les communautés dans les Andes? L’explication la plus évidente est que le catholicisme a été implanté en provenance directement de l’Espagne. Il suffit d’observer les processions actuelles espagnoles pour comprendre dans quel moule culturel le christianisme a été importé ici. Avec comme conséquence directe la quantité énorme de statues et de tableaux du Christ crucifié, mais très peu de la résurrection et du ressuscité. Les sanctuaires et les images — le matériel traditionnel catéchétique de préférence — sont surtout dédiés à la croix, à Marie et aux saints, avec Santiago (St Jacques), patron d’Espagne, à la tête. Comment le message de Pâques pouvait-il se faire entendre ?

  3. Mais il y a plus. Dans la vision des peuples andins concernant la vie et la mort, la résurrection du Crucifié n’est pas un événement si exceptionnel. On estime que tous les morts continuent à vivre quelque part dans l’Ouest, et de là, de temps en temps, ils reviennent visiter les vivants. Le midi de la Toussaints, les défunts viennent visiter leurs familles. On passe ensemble toute la nuit avec eux. On veille, on mange et on boit. Le midi, le Jour des Morts, on se dit adieu et ils retournent ‘chez eux’, dans leur propre monde. Et c’est bien comme ça, car si les morts continuent à déambuler dans notre monde, c’est un mauvais signe. Cela signifie qu’ils ne sont pas acceptés par Dieu et qu’ils rôdent ici obligatoirement pour importuner les gens. Pour les peuples andins, que Jésus vient faire une petite visite à sa mère et ses amis, n’a pas besoin d’être souligné, c’est dans la ligne de leurs attentes.

  4. Mais Jésus n’est pas n’importe quel défunt. Il est un sacrifié, —dans le sens stricte — il s’agit de la mort violente d’un innocent. Il est manifeste que ceci revêt une signification spéciale ici, les situations étant semblables. Il y a quelques années, une jeune servante a été assassinée, à coups de couteau, par son patron. Inocencia était son nom. Personne ne l’a connue, mais au milieu du cimetière des pauvres il y a une tombe pour elle et à chaque jour on demande encore, dans les paroisses, à célébrer des messes à son intention. On croit qu’elle accorde des faveurs à qui se souvient d’elle, le sacrifice de sa vie ne peut avoir été vain et inutile. La commémoration du Christ, torturé à mort, semble se trouver dans la même ligne de pensées.

  5. Alors, il est qui ce crucifié, pour les communautés andines ? Un autre fait peut l’illustrer. Un groupe de Quechuas quitte l’église, après avoir assisté à la messe avec dévotion, transportant la grande croix qu’ils avaient apportée. À la porte de l’église, ils déshabillent la croix du grand drap blanc avec lequel ils l’avaient habillée, ils la couvrent d’un poncho et la coiffent d’un chulu (la tuque andine). À ma question à savoir pourquoi ils font ce rite ils me répondent de façon courte et claire : « Parce qu’il est un des nôtres.» Et ils partent, habillés avec leur costume traditionnel, avec leurs danses et musiques pour faire leur rituel ailleurs. La conclusion : l’identification du Christ crucifié avec la population indienne pauvre du campo n’est pas une invention de la théologie de la libération; c’est une réalité vécue et encore actuelle. Pour eux, le torturé à mort est quelqu’un qui apporte la vie, qui rend fécond. Pour les gens des Andes, la fête de Pâques est donc incluse dans le Vendredi Saint. Elle y donne son sens, de là, le Vendredi de Pâques : vivre sa vie, la risquer, la donner pour les autres, comme Jésus l’a fait.

  6. Ou, est-ce chercher trop loin ? Un dernier petit exemple pour clarifier ou pour compléter. Un vieil indien chipaya, Don Santiago, me raconte l’histoire religieuse de son peuple. Nos lointains ancêtres, dit-il, ont fait des sacrifices humains. Ils pensaient que Dieu et la Pachamama (Mère Terre) le leur demandaient pour ainsi transmettre la vie. Plus tard ils découvrirent qu’ils pouvaient remplacer l’effusion de sang par le sang des animaux et ils firent des sacrifices de lamas, de moutons et de porcs, ... Ensuite nous apprenions que nous pouvions nous adresser à Dieu avec de l’encens pour demander le pardon, pour le remercier ou pour le supplier. Cela se passe maintenant comme ça, d’une manière ou d’une autre, mais moi je suis arrivé à la conclusion, dit-il, que nous pouvons nous diriger à Dieu , comme ça, directement. Que Dieu n’a besoin de rien pour être avec nous. Dans d’autres occasions, Santiago affirme que l’important c’est donner, partager avec les autres; c’est ce que Dieu attend de nous.

    Au fond, le fossé entre ce que prêche l’Église et le vécu religieux des gens est difficile à franchir.

Cet après-midi je m’en vais dans les dunes d’Oruro, non pour chasser les lézards, comme c’est la vieille coutume, mais pour observer comment des artistes d’Oruro et d’ailleurs, sculptent l’histoire de la passion dans le sable. Depuis quelques années, ceci est devenu — comme le Carnaval de la Virgen del Socavon — une nouvelle attraction autour d’une tradition religieuse.

Gilberto Pauwels,

Oruro Bolivia.