Friday, March 11, 2011

Des masques à Oruro.

Le point culminant du Carnaval d’Oruro est passé. Du jamais vu, c’est devenu une explosion de brillance, de son, de coloris et de rythme. La portée religieuse donne toujours à ce Carnaval unique en son genre, un visage propre, mais le folklore et le commerce prennent peu à peu le dessus.

1. Il s’agissait des habitants d’un quartier de mineurs, il y a presque un siècle et demi, qui en étaient arrivés à fusionner la fête du diable avec la vénération mariale, et c’est ainsi que nous avons vu, il y a quelques jours, des milliers de diables, de noirs, d’Incas, d’indiens de la brousse, de pasteurs et d’agriculteurs masqués, peinturés et costumés, ... se jeter à genoux devant un tableau de peinture de la Vierge de la Chandeleur, tenant à la main un cierge fait de graisse de lama. Est-il une représentation de la soumission du monde andin à l’Église coopérante avec le colonisateur d’autrefois ou est-il (ou devient-il) l’expression de la "reconquista", la reconquête du territoire de la ville par des groupes de la population qui se sentent plus libres et en solidarité avec la Virgen Morena ? La semaine passée à CEPA, nous avons présenté un livre sur ce thème, mais la discussion à ce sujet n’a pas encore vraiment démarré (Fiesta Urbana en los Andes. Experiencias y discursos del Carnaval de Oruro. Marcelo Lara y Ximena Córdova, 2011, 228pp.) Sous les masques et les parures traditionnelles se cachent presque tous les groupes populaires, mais surtout la classe moyenne de la ville. Deux jours avant, à l’occasion des festivités de la Jallupacha ( temps des pluies ) et de l’Anata ( fête de la joie), Oruro a été occupée par plus de cent groupes de musique et de danse venant de plusieurs villages des Andes.

2. Il est indéniable que les gens d’Oruro veulent honorer en même temps les traditions andines et leur christianisme. Quand je regarde par la fenêtre de ma chambre, je vois une colline et un escalier qui mène à un rocher en forme de condor, auquel on fait des libations. La même chose se passe ailleurs : au serpent, au crapaud, au lézard et aux fourmis; ils font partie de la mythologie de la création de la ville. Mais sur la colline adjacente on est en train de construire une statue de la Virgen del Socavon ( la Vierge de la Mine), qui sera plus grande que la statue bien connue du Christ de Rio au Brésil ou de la statue plus grande encore mais moins bien connue du Christ de Cochabamba. Elle deviendra une statue géante avec à l’intérieur une chapelle, un restaurant, une boutique et un musée.

3. Oui, pour celui qui n’a pas été à Oruro depuis quelques années, bien un certain nombre de changements devraient le surprendre. La ville s’agrandit de plus en plus dans les collines mais aussi dans les pleines et le long des voies d’accès. Les tours d’églises, qui ressortaient jadis, semblent se rapetisser à l’entourage des chantiers de plusieurs étages. Au centre ville on construit deux gratte-ciel de vingt étages. Des gens, venant des villages, se font aussi une niche dans la ville. Ils investissent dans l’achat des terrains et construisent des maisons. Le nombre d’autos augmente à vue d’oeil. Les habitants des régions frontalières — qui ne vivent pas seulement de l’élevage du lama et de la production de pomme de terre et de quinua — s’emparent de la ville. Il y a des années, je donnais une entrevue à Walter Lootens sous le titre « Les peuples andins conquièrent les villes ». Cela semble maintenant se réaliser. D’ailleurs, il n’y a pas longtemps, Walter a de nouveau parcouru la Bolivie pour prendre note des conséquences de ce processus de changement en cours.

4. Et pourtant... Qu’est-ce qui se cache derrières ces masques ? Qu’est-ce qui se déroule derrière ces hautes façades fastueuses ? De qui s’agit-il et sur quelle base? Pourquoi il y a-t-il une augmentation évidente, surtout ces derniers temps, de protestations contre la gouvernance du président Evo Morales ? Cela nous amènerait trop loin de vouloir démêler les causes et les conséquences de ce processus complexe. Nous aurions à traiter de la redistribution socio-économique; du racisme; de la corruption; de la division politique interne; de l’influence d’une part de la presse et d’autre part des organismes populaires; de la pénurie et des prix des denrées; des prix du pétrole, du gaz et des minéraux; de la transformation politique des collaborateurs d’avant en alternatives concurrentielles pour le futur; des différents régionaux et de l’autonomie; des oppositions religieuses et des protagonistes; de la politique internationale; du manque de formation politique et professionnelle; de l’identification ethnique; du manque de durabilité et de tant d’autres ...

5. Je veux quand même mentionner quelques aspects évidents du processus de changement à partir de la vie quotidienne. Celui qui tend vers une plus grande participation, immanquablement, il sera confronté à plus de critiques, à des propositions irréalistes et des revendications à participer aux décisions. Et aussi, faire avancer l’amélioration du sort ne mène pas nécessairement à plus de contentement. Une fois le processus enclenché, les nécessités et besoins semblent augmenter plus vite que les réponses qu’on peut y donner, ce qui fait augmenter l’insatisfaction.

On vient de relever les salaires de 10% et le salaire minimum même de 20 %. À voir comment on réagira sur ce point après le Carnaval, au milieu des protestations incessantes contre la montée des prix, surtout celles du transport. Finalement on n’a pas touché aux prix des carburants.

Le processus de changements ne court pas un danger. Tout le monde réalise que le sort du pays est surtout aux mains des communautés rurales. Qu’elles peuvent paralyser le pays aussi longtemps qu’elles le veulent, en rendant les routes inutilisables avec des centaines de milliers de pierres; cela elles l’ont déjà prouvé.

Le processus de changement est en train de virer en un processus de démasquage. Qui veut et qui peut vraiment se mettre au service du peuple ? Quel pouvoir ont-ils ?

Gilberto Pauwels

Oruro Bolivia

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